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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut

25 février 2020

SAVOIR-VIVRE !!!!!

Bernadette Zygart

 

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Secrétaire de Direction dans un établissement privé accueillant des enfants et adolescents placés par décision judiciaire ou administrative, j’étais amenée, chaque année, à ébaucher la préparation des vacances estivales en lien avec l’équipe éducative, au moyen des divers documents reçus des organismes ou associations type UFCV ou ADP.

Pour m’aider dans ces préparatifs et la suite qui en découlait, c’était la période où les lycées envoyaient des stagiaires dans les entreprises. J’ai toujours eu la chance d’avoir des éléments motivés.

 

Et cette année-là, encore, j’avais bien sympathisé avec Karine qui, peu à peu, m’avait confié ses conditions de vie avec sa mère. Elles étaient donc deux au foyer, s’entendant très bien. Elle s’apprêtait à emménager dans un autre appartement et était à la recherche de mobilier et autres articles utiles à son installation. De mon côté, à la suite du décès de mon père, la maison familiale comportait bien des objets devenus inutiles. Je pus donc donner à Karine l’ensemble d’une chambre à coucher ayant servi à mes deux sœurs, quelques objets de la vie courante dont…un fer à repasser « Calor » rangé dans sa boîte d’origine, presque intacte, si bien que je ne songeai nullement à l’inspecter plus en détail.

Eh bien, mal m’en a pris, car la donzelle sortit le fer de sa boite, le retourna et, force me fut de constater que la semelle du fer était toute noircie, sans doute brulée d’avoir trop servi ! et, hasard ou pas, l’engin lui échappa des mains et rencontra brutalement le carrelage……rideau.

 

Comme je lui présentai mes excuses pour le fer, elle se transforma alors en protestataire-furie, me reprochant ce que j’étais (du genre bourgeoise sans doute…) que tout ce que je faisais était pour l’humilier, tout comme mon invitation, un midi, à manger chez moi – en l’absence de mon mari parti en voyage, pour ne pas être seule !!! - enfin toute une litanie de reproches transformée en pluies acides !!!

Et soudain, je ne sais ce qui me prit à cet éclat injuste, je me mis à frapper Karine, la frapper et la frapper avec bien sûr le fer à repasser…..j’avais envie de lui faire mal, de lui faire ravaler ses paroles ; et j’eus, juxtaposée, l’image d’une violence se transformant en règlement d’un compte qui n’était pas celui-ci, mais un autre laissé en suspens dans le temps.

Je n’étais plus le personnage habituel, sans être tout à fait un autre.

Je n’étais plus du tout moi-même dans cette violence émergeante mais, dans le même temps, « quelque-chose » de l’ordre du..bien-être m’envahit. Je cessai de frapper mais pour Karine il était trop tard hélas ! Elle gisait dans son sang et son râle me renseigna sur l’issue de mon acharnement.

Attiré par nos cris, un attroupement se fit autour de nous ; je me sentis vengée, certes mais contrainte maintenant de répondre de cet acte que je regrettais déjà à plus d’un titre…

 

BREF EPILOGUE

 

Apaisée et les menottes aux poignets, je suivis ces messieurs en uniforme appelés pour m’appréhender. Je sentis quand même ma raison vaciller quelque peu réalisant, cette fois à froid, que le corps de ma stagiaire l’était tout autant.. Quoi, c’était moi cela ? Mais non, c’était un rêve ! ou plutôt un cauchemar, dont j’allais me réveiller…

Quelle raison à mon attitude extrême ? Un fusible qui a sauté, mon inconscient ayant fait resurgir une situation du passé non résolue et c’est lui qui a armé mon bras, je l’ai bien senti pendant que je frappais.

Lors de mon interrogatoire c’est ce que je dirai, en ajoutant :

«  Certes, toute cette histoire n’est pas catholique, mais l’expérience dans cette structure m’a transformée en personne laïque et cette situation est pour moi jubilatoire, prouvant que cet établissement est moteur de violence comme je l’ai toujours affirmé : la relation entre adultes est destructrice ici.

Maintenant, je ne sais plus où j’en suis, j’ai ma vie entre deux rives….

Aurai-je des circonstances atténuantes ?

Et sachez que dans la plaidoirie, mes arguments plaideront en ma faveur…

Enfin, c’est ce que j’espère…

Accepteriez-vous d’être juré à mon procès ?

 

Version 2 BREF EPILOGUE

Certes, mon geste est impardonnable…quand j’y repense comme je le regrette ! Pour une réaction d’orgueil que je suis déjà en train de payer…Mais aussi, pourquoi m’a-t-elle accusée de vouloir l’humilier, c’est absurde !

J’ai tout au plus commis une maladresse. Ah ! Si cela pouvait ne pas avoir eu lieu…A cette évocation, soudain, la vie et la lumière percent les nuages si bas. Je ne me sens pas faite pour l’atmosphère, la rigueur des tribunaux ; encore moins faire la une de la presse locale.

Seule, abandonnée, repliée sur moi-même, incapable de m’exprimer ; cela doit être affreux, une salle d’audience…avec la Cour, la présence des Juges, des avocats, et moi réduite au silence par ceux qui parleront à ma place. Mais je suis la seule à savoir défendre ma cause, enfin !!!!!

Aurai-je des circonstances atténuantes ?

Accepteriez-vous d’être juré à mon procès ?

 

 

***

N.-B. Et toute cette histoire pour une animatrice d’atelier d’écriture devenue complètement obsédée par l’odeur du sang….

 

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14 août 2019

Histoire d’une gomme

Bernadette Zygart 

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Ma gomme, telle que je l’ai (re)trouvée dans ma trousse d’écolière studieuse, perdue au milieu de stylos tandis que je cherchais un taille-crayon.

Elle « accusait » les années ! Je me souviens d’elle, toute neuve, souple et d’un gris presque blanc. …il existait d’autres modèles, avec une partie souple et une partie rigide mais c’était l’autre que je préférais ! Et voilà que mon esprit vagabonde : si elle pouvait parler, elle en raconterait des choses qu’elle fut parfois contrainte d’effacer, encore et encore, ces exercices de calculs pour lesquels j’étais peu douée !! Cela sert à cela, une gomme oui ?? Mais pas que. On peut lui trouver d’autres attributions.

Allez voir dans le dictionnaire et vous m’en direz des nouvelles ! Vous verrez qu’en plus de son principe effaceur, de « faire disparaitre », il est un tas d’interprêtations parfois surprenantes !

Si je vous dis « mystère et boule de gomme », savez-vous ce que cela veut dire ? La boule s’inspire du modèle en cristal de Mme Irma la voyante qui se trouverait soudain envahie de gomme (arabique cette fois !) et donc s’opacifierait, rendant impossible toute lecture de l’avenir, réduisant au chômage notre professionnelle de la prédiction….

Un autre thème qui me rappelle mon enfance : avec un papa commerçant en café et confiseries, j’étais amenée parfois à préparer les commandes pour ses livraisons à l’extérieur. Et l’hiver il proposait des « boules de gomme » - petits dés – pour calmer les maux de gorge, vous voyez ce que je veux dire ? Et, cela n’a rien à voir avec la gomme, mais j’ai envie de vous évoquer une autre friandise : la guimauve qu’il m’arrivait de subtiliser dans les boites ; toute fraîche elle était délicieuse !

Autre signification : l’agar agar qui entre dans les préparations culinaires, sorte de gélatine. Mais nous nous éloignons de la gomme !

En revanche, si vous devez vous presser parce que vous êtes en retard, vous mettrez « toute la gomme » pour arriver à l’heure à votre rendez-vous !

 

Mais c’est avec sentimentalité que je reviens à la signification première de ce petit objet si utile tout au long d’une vie ! A qui l’on demande d’effacer ce qui vient d’être écrit ou dessiné : un lien se noue entre la main et l’objet, comme une complicité, quand par exemple il s’agit d’ombrer un dessin pour mieux le mettre en valeur.

Ma main qui gomme, c’est l’interprétation du dessin selon moi, c’est le sentiment que m’inspire ce que j’ai écrit et que je peux supprimer, ignorer, regretter ou nuancer pour exprimer ce que je veux transmettre avec exactitude.

Gymnastique de l’esprit, de l’âme, qui osent, se décident, qui acceptent la suite.

MAIS…..On ne peut pas tout gommer ! Ce serait alors refuser d’avoir vécu, sous prétexte que l’on voudrait que « cela » n’ait pas existé ! Que l’on ait été heureux ou malheureux, c’est « notre vie » quoiqu’ on veuille ! Et l’accepter, c’est « accueillir » la façon dont les choses ont été gérées, c’était « nous » telle que nous étions à ce moment-là. Et cette fois, pas vraiment le moment de gommer !!

 août 2019-08-11

 

 

9 juin 2019

Hamlet et Ophélie, aujourd'hui...

 Liliane Fainsilber 

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Quand l'histoire commence, Ophélie est tancée par son grand frère, Laertes, qui se croit autorisé à s'occuper de sa vie privée. Il vient en effet de découvrir que sa sœur est amoureuse d'Hamlet et il lui enjoint de ne tenir aucun compte de tout ce qu'il pourrait lui raconter. Ce ne peut être, selon lui, que des billevesées.

Il insiste lourdement : Ce jeune homme n'est pas pour elle, il sera appelé à de hautes fonctions, Il est en effet Prince du Danemark : «peut-être vous aime-t-il aujourd'hui ; peut-être aucune souillure, aucune déloyauté ne ternit-elle la vertu de ses désirs mais vous devez craindre, en considérant sa grandeur, que sa volonté de ne soit pas à lui ; En effet il est lui-même le sujet de sa naissance. Il ne lui ai pas permis comme aux gens sans valeur, de décider pour lui-même. Car de son choix dépendent le salut et la santé de tout l'état. »

Il ne peut donc qu'inciter sa sœur à protéger sa vertu : « Prenez y garde, Ophélia, prenez-y garde ma chère sœur, et tenez-vous en arrière de votre affection, hors de la portée de ses dangereux désirs ».

 

Devant un tel discours, Ophélie, celle du temps de Shakespeare, ne s'est pas révoltée mais a quand même rétorqué à son frère qu'il était assez inconséquent dans sa propre conduite, écrasant toutes les fragiles primevères qu'il rencontrait sur son chemin : « Mais vous, cher frère, ne faites pas comme ce pasteur impie qui indique une route escarpée et épineuse vers le ciel, tandis que lui-même, libertin repu et impudent, foule les primevères du sentier de la licence, sans se soucie de ses propres sermons. »

 

Dans cette même scène surgit, Polonius, son père, qui redouble les recommandations du grand frère : « Désormais, ma fille, soyez un peu plus avare de votre virginale présence[...]Quant au seigneur Hamlet, ce que vous devez penser de lui, c'est qu'il est jeune et qu'il a, pour ses écarts, la corde plus large que vous. En un mot, Ophélia, ne vous fiez pas à ses serments ; car ils sont non les interprètes de l'intention qui se montre sous les vêtements, mais les entremetteurs des désirs sacrilèges, qui ne profèrent tant de saintes et pieuses promesses que pour mieux tromper ». Il lui ordonne fermement de repousser son amour. On le constate, la perte éventuelle de la virginité d'Ophélie préoccupe au plus au point les mâles de cette famille.

 

L'Ophélie d'aujourd'hui, danoise moderne, élégante et court vêtue, ne s'est pas contenté, en répondant à son frère, de lui reprocher sa conduite mais l'a vertement envoyé promener lui suggérant de s'occuper de ses propres affaires. Elle entend bien mener sa vie à sa guise. Il en va de même, lorsque son père, Polonius, lui enjoint aussi de repousser Hamlet, de le décourager dans les manifestations de son amour, elle est bien décidée à ne tenir aucun compte de ses injonctions.

 

Si bien que, lorsque Hamlet très perturbé, comme en proie à un délire, vient la voir pour lui raconter l'épouvantable cauchemar qu'il a fait la nuit précédente, elle l'écoute avec beaucoup d'attention et essaie de le rassurer en le prenant dans ses bras pour le consoler, tel un enfant fragile.

Petit à petit, Hamlet peut alors lui décrire ce qu'il a rêvé.

Sur le coup de minuit, le fantôme de son père est venu à sa rencontre et lui a révélé que son oncle, celui qui vient juste d'épouser sa mère, l'a, en fait, assassiné pour prendre sa place, en tant que roi et en tant qu'époux, en lui versant une fiole de poison dans l'oreille tandis qu'il dormait. A ses yeux, ce crime ne peut rester impuni et donc Hamlet, son fils, se doit de réaliser cette vengeance. C'est pour le charger de cette mission qu'il est revenu du royaume des ombres. Hamlet, comme fou, est poursuivi par cette vision d'horreur.

Comment Ophélie pourrait-elle l'aider ?

Elle a certes lu Freud en classe de philosophie et elle s'intéresse beaucoup à l'interprétation des rêves, elle sait que même sous leur apparente absurdité, les rêves ont toujours un sens, mais elle n'a jamais appris à les interpréter.

Par contre elle a aussi gardé dans un coin de sa mémoire ce que ce grand psychanalyste, a découvert, le fait que, comme Oedipe, tout homme a un jour rêvé de coucher avec sa mère et de tuer son père. Elle se doute bien qu'Hamlet n'a pas échappé à ce destin et que de ce fait il se sent terriblement coupable d'avoir eu lui aussi un tel désir et que ce doit être la cause de son terrible cauchemar.

 

Ophélie pense donc qu' Hamlet a sur la conscience de terribles remords non seulement pour avoir éprouvé ces désirs de mort à l'égard de son père mais aussi à l'égard de son oncle qui maintenant en occupe la place.

Comment Ophélie pourrait-elle le tirer de là, que pourrait-elle lui dire ? Elle ne sait pas comment s'y prendre et faute de mieux lui demande de lui raconter à nouveau son rêve en lui recommandant de dire tout ce qui lui vient à l'idée à ce moment là.

Hamlet, en se remémorant la scène de sa rencontre avec le spectre de son père, réussit à lui dire petit à petit, à quel point il a été choqué par le fait que sa mère se soit remariée avec son beau-frère, si peu de temps après la mort de son premier mari et lui a surtout avoué qu'il aurait beaucoup aimé se venger lui-même de son oncle, tout autant que de venger son père, pour cette trahison.

Après un temps de silence, Ophélie, lui répond que même s'il en est offensé et qu'il lui en veut beaucoup, sa maman a quand même bien le droit de vivre sa vie et d'être heureuse en tant que femme avec son nouveau mari. Ce qu'elle souhaite pour elle-même également.

 

C'est ainsi que le drame d'Hamlet prend désormais une toute autre tournure grâce à son intervention décisive. Elle-même, grâce à l'amour qu'Hamlet lui porte, ne se noiera pas dans la rivière en essayant d'attraper des fleurs. Hamlet ne trucidera pas Polonius, caché derrière un rideau pour surveiller ce qu'il pourrait faire subir à sa mère. Laertes et Hamlet ne seront pas obligés de se battre à l'aide de leur épée empoisonnée. Ce dernier ne tuera pas le roi, et Gertude sa mère ne boira pas la coupe de poison. A la fin de la pièce, au lieu de ce grand carnage final de la tragédie shakespearienne, sept cadavres qui jonchent le sol, on pourra y célébrer à jamais les amours d'Hamlet et d'Ophélie. Mais il y a un grand perdant, dans cette nouvelle version de la tragédie, c'est le directeur de la compagnie qui la joue. Comme l'affirme le dicton, les gens heureux n'ont pas d'histoire et cette pièce de théâtre, sans son amoncellement de cadavres, désormais ne fait plus recette. C'est la faillite !

25 avril 2019

Promenade en famille

 

 Bernadette Zygart 

 

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Débouchant d’un buisson, deux yeux, deux yeux qui fixent ; pas un muscle de la face ne bouge, la tête est figée.

Elle ne sait pas encore que je l’ai vue ; comme elle est belle ! Si seulement nous pouvions nous parler… Hélas ! je n’aurais pas le temps d’ouvrir la bouche…

Je prends la précaution de reculer, surtout sans faire de bruit ;deux ou trois mètres encore et l’abri du 4x4, je serai sauvée ! Mon Dieu, je crois qu’elle a avancé, elle m’a vue aussi, mon cœur bat au moins à 100 à l’heure.. et nos regards se croisent, c’est fichu ! Elle ouvre la gueule, elle baille - quelle mâchoire ! – sort un son qui ne ressemble pas à un miaulement, plutôt d’un souffle qui vient du gosier, pas du nez…

Laquelle de nous deux va surprendre l’autre ? Mais..alors, je ne lui plais pas, la voilà qui fait demi-tour et s’éloigne lentement. Je l’appelle « Titi », et lui parle doucement, la flattant un peu. La trouille me quitte, je regrette de la voir partir. Quelle bête superbe .

Soudain le buisson est de nouveau secoué ; si c’est Monsieur Tigre, je suis mal ! Il n’en est rien ! qui voilà ? Trois bébés tigres..C’est donc pour cela que la mère ne m’a pas attaquée…elle était avec ses petits et n’a pas voulu prendre le risque de se mettre en danger..Si elle savait à quel point j’étais inofensive !

 

Les jours suivants, je revis la tigresse et ses petits, le trio était très attachant, et j’aurais facilement donné de mon temps pour les apprivoiser ! Et je ne le jurerais pas mais…j’eus l’impression qu’elle s’intéressait à moi, elle aussi. Les petits, moins farouches, galopaient autour d’elle et de toute évidence, ma présence ne le affolait pas ! A tel point qu’ils se comportaient comme des chatons : s’amusant à « faire le gros dos » croyant m’impressionner sans doute.

 

 

 

Je ne faisais pas grand-chose, hormis leur parler d’une voix douce, car je ne voulais pas susciter la jalousie maternelle – redoutable - , je n’aurais pas donné cher de ma peau !

Au fil des jours, j’eus l’impression qu’elle s’habituait à moi – m’attendait peut-être – la chose me fut racontée par l’équipe soignante de la réserve. Sans vouloir anticiper, je me félicitai de cette sorte de contact établi avec un fauve : on se regarde de loin, on s’observe, mais cela n’empêche pas les sentiments !

J’eus la réponse à cette question le jour où, après une absence prolongée, je retournai à l’endroit habituel. Je n’eus pas à attendre longtemps….quelques «Titi » suffirent et le buisson frémit, précédé d’un grognement que je connaissais bien. Comme la première fois elle est apparue, me fixant de son regard pénétrant, magnifique, envoûtant.

Hélas ! ce fut notre seul échange, long, appuyé. : je lui ai demandé des nouvelles de ses petits (pour meubler le silence !) mais bien sûr la conversation fut de courte durée.

Je lui parlai avec une infinie douceur puis elle fit demi-tour lentement, et s’éloigna accompagnée de mes « Titi » attristés…

23 avril 2019

Le pudding de Dorothée

 Liliane Fainsilber 

16764720_pDepuis plusieurs années Dorothée a choisi de vivre dans un petit village de Provence dans une maison entourée d'oliviers, située à perpète du village, au bout d'un chemin de terre tout poussiéreux et surtout cahoteux. Mais tous les dimanches elle reçoit ses amis anglais à l'heure du thé. Elle aime bien en effet ce rite qui leur rappelle à tous les souvenirs de leur vie en Angleterre. Ainsi de bon matin, elle réunit sur sa table de cuisine tous les ingrédients du pudding qu'elle leur prépare, pain rassis, zestes d'orange et fruits confits, sans compter l'indispensable graisse de bœuf qui donne tout son cachet à ce gâteau. Il va l'occuper une bonne partie de la matinée.

Depuis peu, elle a rencontré un écossais au parler rugueux qui s'exprime difficilement en français. Ils marchent ensemble sur les chemins de grande randonnée de la région. Il s'appelle William, comme le prince du même nom. Dorothée le trouve bien séduisant et souhaiterait beaucoup qu'il s'intéresse un peu à elle. Peut-être qu'à cinquante ans passés, il n'est peut-être pas encore trop tard pour plaire et pour être heureuse avec un homme qu'on aime et qui vous aime. Elle est pleine d'espoir car il a accepté de venir ce dimanche partager ce moment avec ses amis. Elle ne l'a pas invité à venir la voir en tête à tête, car elle ne voulait pas l'effaroucher et lui faire prendre ainsi la poudre d'escampette avant d'avoir fait plus ample connaissance.

Dimanche, elle se maquillera légèrement et mettra son ensemble gris perle qui va très bien avec ses cheveux blancs. Elle se montrera amicale, mais cependant discrète dans la manifestation de son intérêt pour lui. Elle espère qu'il aimera beaucoup son pudding et un peu celle qui l'a confectionné.

 

 

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5 février 2019

Maya Guacamole

Martine Bouvot 

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A l'automne 2005, je réalise un rêve vieux d'une quarantaine d'années : aller au Népal!

 Dans les années précédant 68, le mouvement hippy, nous faisait rêver, nous, jeunes provinciales, encore coincées dans les principes, à une forme de liberté que nous n'avions jamais envisagée.

 En pension, imposée par les parents et sous la férule d'une autre autorité, nous n'avions d'autre choix que de rêver à ouvrir les grilles de ce que nous pensions être une prison.

 Et cet automne 2005, je me suis rapprochée de mon vieux rêve en même temps que du toit du monde et j'ai alors compris qu'un rêve ne peut être qu’utopie quand je me suis souvenue de Maya Guacamole, une amie de classe qui l'avait suivi.

 En feuilletant mon carnet de voyage, me reviennent les chemins bordés de cannabis, les rues de Katmandou et ses dédales aux immeubles délabrés, témoins de cette époque.

 Tout au long de mon voyage et de mes découvertes, j'ai donc imaginé ce qu'avait été la vie de Maya, élève comme moi de l'Ecole Hôtelière, tellement rebelle à l'égard des autorités et institutions et qui elle, était partie, à 20 ans pour vivre le grand voyage.

 

Je l'ai imaginée jusqu'au jour où elle m'a conté son aventure, bien des années plus tard....

 Elle me dit : Si j'avais su que cette belle aventure n'était qu’utopie ! Si j'avais su...mais il fallait sans doute que je la vive !

 J'étais à cette époque, tombée éperdument amoureuse d'un garçon parce que justement il m'emmenait sur des chemins de traverse, hors de toute autorité, disait-il, hors des contraintes, puisque là-bas, nous n'aurions plus besoin de rien, disait-il toujours. Le rêve était là, à portée de mains...

 

A notre arrivée au Népal, nous avons rejoint une communauté où la liberté semblait régler la vie quotidienne. Très vite, on m'initia au calumet de la paix : le cannabis dont les plans couvraient les campagnes environnantes.

 De ce fait , à Katmandou, la vie m'est très vite apparue facile, bien qu' assez rapidement aussi, je me sois interrogée sur le but de ma démarche : qu'étais-je venue chercher, là, et qu'allais-je y trouver vraiment? On m'aidait rapidement à chasser ces idées « bourgeoises » issues sans doute de mon éducation chez les Dupont.

 La vie s'écoulait, sans but, sans projets malgré de longues discussions stériles surtout quand nous avions trop fumé de cannabis...

 Un matin, la police a fait une rafle dans tous les squats Hippies, que nous occupions dans le centre historique de Katmandou.

 Nous nous retrouvâmes des dizaines au poste puis sans plus de procédure, en prison.

 Là, j'ai pris conscience de ce qu'était la liberté, ce mot si galvaudé.

 Et je me suis retrouvée, en geôle, avec tout ce que cela représente de répressions, interdictions, et corruptions. La drogue circulait toujours moyennant bakchich ! Les conditions de survie étaient effroyables, pas d'hygiène et nous partagions nos cellules avec les rats, cafards et autres vermines qui pullulaient.

 Nous sentions nos vies filer hors de nos corps amaigris.

 Ha ! Si je n'avais pas suivi cet homme !

 Cet enfer dura des mois qui me mirent dans l'état proche de la folie et me faisait regretter l' Ecole Hôtelière et la sévérité de mon éducation que j'avais quittées pour être « libre »

 Un matin, le directeur du pénitencier vint nous faire l'annonce, sans autre forme de procès : Hauts-parleurs :

 Le roi du Népal a décidé que pour les condamnés étrangers de droit commun, la peine de mort ne sera pas appliquée si l'enfant que la famille royale attend est un mâle et pourra être l'héritier.

 Restent qqs semaines de compromission avec nos geôliers corrompus , qqs semaines à nous contenter des déchets qu'ils nous jettent à travers les barreaux, ce qui provoque des bagarres entre co-détenus, qqs semaines à subir, hommes et femmes les assauts incessants et les humiliations plus dégradantes encore.

 Nous qui rêvions de liberté, étions réduits à l'état d'esclaves, de non-êtres comme l'ont été les déportés lors de la dernière guerre, réduits à voler le croûton de pain du voisin, moribond, ce que certains se reprocheront tout au long de leur vie. Et ce sont ces moments qui te font comprendre que l'instinct de survie peut passer parfois au-dessus de toute pensée philosophique.

 Je m'appelle Maya Guacamole, née au Guatemala, adoptée par les Dupont de France et je suis là, à Katmandou, à attendre l'accouchement d'une femme comme moi, mais à la différence qu'elle est « la Reine »

 bon dieu, pourvu que ce soit un mâle !!!!

 Et c'est un mâle ! Gagné !!!

 J'ai sauvé ma vie et je suis retournée à celle que mes parents « Dupont » avaient envisagée pour mon avenir : j'ai fait une belle carrière au Ritz à Paris ! Je les ai rendu fiers et heureux, ceux qui m'avaient tant donné.

 Erreur de trajectoire ?

 Depuis, j'ai revu mes amies de l'Ecole Hôtelière et je vois que nous avons toutes vécu « notre aventure », hors des chemins de Katmandou mais aussi forte !

 Oui ! J'ai pensé à toi, Maya, sur les chemins du Népal, ceux que nous avons suivis ensemble mais à 40 ans de distance, avec toujours la même idée de liberté de pensée, d'humilité devant la nature si magnifique, les larmes aux yeux en contemplant l'Everest, le toit du monde !

 Tout ce que j'ai écrit est tiré de vécu, d'amis, de parents...en fait l’écriture, ce n'est que cela !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5 février 2019

Souvenirs de Pierrot

 

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Bon, j'ai encore cette commode à vider et comme ça les gosses pourront mettre les meubles sur ce qu'ils appellent « le Bon Coin » !

Avant on donnait, maintenant on vend même les choses sans valeur, même les souvenirs.

 C'est le progrès qu'ils disent et c'est vrai qu'à 90 ans, je ne suis plus dans le coup et à la maison de retraite où ils ont décidé de me placer, pour mon bien disent-ils toujours, je n'aurai plus besoin de tout ce fatras accumulé depuis 3 générations.

 Tiens, qu'est-ce que c'est donc cette grande enveloppe dont je ne me rappelais plus qu'elle était là ?

 HA ! Des photos !

 

La ferme familiale à Saint Chély d'Aubrac. Là je reconnais pépé et mémé pour l'estive et tout le village qui suit, les troupeaux enrubannés et fleuris et gambadant nerveusement , vers les prés, après un hiver à l'étable. Quelle belle fête et quelle gaieté je me souviens.

 Et là c'est le Paul et la Marie, de braves gens si généreux pendant la guerre.

 Et celle-là ? Mais oui, c'est le père, Gaby, posant fièrement devant son buron où il passait tout l'été avec ses bêtes.

 HO là là et celle-ci ? Je me souviens bien du jour où elle a été prise car je portais le belle chemise à carreaux bleus que ma mère, la Jeannette, avait cousu pour moi pour « monter » à Paris au Salon de l'Agriculture. C'était en....enfin j'avais dans les 25 ans, juste après la guerre et pas peu fier d'aller présenter Néron et Cléopâtre au concours.

 Qu'il était beau mon Néron que j'avais élevé depuis sa naissance, beau mais pas toujours commode avec ses 1500 kgs.

 Et ma belle Cléopâtre, aux cornes en forme de lyre et aux yeux comme maquillés de Khôl, pareils à ceux des égyptiens que l'on voyait en images dans nos livres d'école.

 C'est elle qui a gagné le concours et je me souviens, tout le village avait fêté notre retour.

 Oui, en regardant cette photo, je pense, sans prétention que je devais peut-être faire tourner la tête des filles et si je dis cela aujourd'hui c'est que c'est à Paris, au Salon de l'Agriculture, avec ma belle chemise à carreaux que j'ai plu à Justine qui elle, présentait une belle Salers, et qui est devenue ma femme et la mère de mes enfants.

 A ce concours j'avais donc tout gagné !

 Ma Justine est partie mais cette photo, je vais la mettre dans ma chambre à la maison de retraite et chaque soir je m'endormirai en espérant la rejoindre bientôt, au Grand Salon des Amours Eternels.

 Quand je suis arrivé à la maison de retraite « l'Eau vive »...tu parles d'un nom ! Firmin m'attendait sur le seuil avec son déambulateur, un large sourire sous sa moustache -il a toujours voulu garder sa moustache , ça lui donnait l'air plus viril qu'il disait, plus jeune.

 F Bienvenue mon Pierrot, tu vois ici on se retrouve un peu comme à l'école communale, on nous fait faire des activités mais attention, il faut respecter le règlement !

 P Les gosses m'avaient dit que tu étais là et c'est pour ça que j'ai accepté parce que ça devenait dur pour moi en hiver, depuis que Justine est partie et tu sais, les gosses, ils ont leur vie !

 F Je te laisse t'installer et si tu veux un coup de mains, sinon on se retrouve avant le dîner vers 18h et on pourra causer un peu.

 J'ai donc gagné la chambre qui sera la dernière de ma vie. Pas marrant !

Je défais ma valise où j'ai rangé qqs vêtements et qqs objets, enfin pour me faire un petit « chez moi » et bien sûr l'enveloppe que j'avais trouvée dans la commode, juste avant de quitter la maison et que les gosses vendent tout. C'est pas leur vie !

Alors là, mon Firmin, il va être heureux quand je vais lui montrer les photos de notre jeunesse envolée.

J'éparpille mon trésor sur mon petit lit et tiens ! Qu'est-ce que c'est que cette lettre pliée en tout petit et que je n'avais pas vue l'autre jour ?

 Je tire mes lunettes de leur étui, je déplie la lettre et je retrouve tout de suite l'écriture de ma Justine. Mes lunettes s'embuent et m'empêchent de bien lire. Cette lettre s'adresse à Firmin :

 Justine

Mon très cher ami pour toujours

Je suis très peinée de t'écrire que notre belle histoire est finie. Je me suis rendue compte, au Salon à Paris, que j'étais tombée amoureuse de Pierrot et aussi de te dire que s'il me demande en mariage je dirai « oui ». Notre histoire fût belle mais la vie m'appelle auprès de Pierrot et je ne veux pas te mentir. Je te demande pardon et tu resteras toujours pour moi un ami très cher. Justine.

 P Je suis sonné ! Comment n'ai-je jamais rien su ? Mon ami, mon frère avait aimé ma femme et je ne lui ai jamais demandé au fond pourquoi il ne s'était jamais marié, beau et fort comme il était avec sa moustache ! J'en blaguais avec lui !

 Pourquoi ne m'ont-ils jamais rien dit. J'aurais compris...enfin je pense, enfin je pense aujourd'hui...Et moi qui voulais montrer ma chambre et la photo de Justine sur ma table de nuit...Et je pleure, la tête entre mes vieilles mains, pas celles que Justine a connues, grandes et fortes et douces aussi.

 On frappe :

 F alors mon vieux, tu viens ?

 P J'arrive !

 Je dois descendre pour aller au réfectoire, rejoindre mes nouveaux compagnons de « L'Eau Vive » et surtout Firmin...

 Je le retrouve dans le hall avec son déambulateur....ils en ont tous quand ils ne sont pas en fauteuil roulant !

 F Alors, quand même, il faut que je te fasse une surprise pour ton arrivée ici.

 P Je le regarde et il me semble découvrir un homme que je n'ai pas vraiment connu, le choc de la lettre sans doute et ce changement de vie, tout cela me perturbe.

 F Je vais te présenter une dame que tu reconnaîtras sans doute et qui vit ici. Elle a maintenant 95 ans.

 P J'arrive, très ému...ça commence à faire beaucoup...et je me retrouve devant une petite dame à qui Firmin parle à l'oreille. Et là, le regard bleu me transperce : Paulette ! La si belle Paulette qui faisait vibrer tous les cœurs des jeunes garçons que nous étions jusqu'au Certificat d'Etudes !

 Paulette : bienvenue mon Pierrot ! Je ne vois plus beaucoup mais je pense que tu es toujours aussi beau gars ! Nous allons pouvoir évoquer notre jeunesse, tous les 3 réunis.

 P A partir de ce jour, on nous appela « les inséparables »....la boucle éait bouclée... enfin pas tout à fait.

 A la fin du dîner, au moment de se séparer, Paulette me glissa à l'oreille :

 - Il faudrait que je te dise qqchose pendant que nous avons encore un peu de temps.

 P Ma nuit avait été agitée et j'avais eu du mal à détacher mon regard de la photo de ma Justine. Une question me taraudait : pourquoi ces 2 là n'avaient rien voulu me dire...pourquoi ?

 Mais bientôt mon esprit repartit sur les chemins de ma jeunesse. Je les avais retrouvés, ici, à 90 ans, avec Firmin et Paulette et m'est revenue cette chanson :

 Quand on partait de bon matin

Quand on partait sur les chemins

A bicyclette

...

 

Y'avait Fernand, y'avait Firmin

...

 

Et puis Paulette

..

Sur les petits chemins de terre,

On a souvent vécu l'enfer

Pour ne pas mettre pied à terre

Devant Paulette

.

 On se disait, c'est pour demain

J'oserai, j'oserai demain

 

Et je finis par m'endormir.

 Paulette avait toujours eu la même douceur et aussi la même volonté puisqu'elle avait été l'institutrice de St Chély de 1939 jusqu'à sa retraite.

La fille du facteur, en plus d'être belle, était instruite, plus que la plupart d'entre nous qui sommes devenus paysans comme nos parents et pour reprendre la ferme.

 A cette époque, il fallait avoir le Brevet Elémentaire pour passer le concours d'entrée à l'Ecole Normale et beaucoup d'enfants, avant guerre n'arrivaient qu'au Certificat d'Etudes Primaires qui sonnait la fin de la scolarité. Presque seuls les enfants du pharmacien, du docteur ou de l'instituteur pouvaient aller au-delà !

 Mais Paulette, la fille du facteur, avait un caractère bien forgé et avait brillamment réussi le concours d'entrée à l'Ecole Normale.

 C'était juste avant la guerre et quand celle-ci fût déclarée, elle pris son 1er poste à St Chély en remplacement de Monsieur Dubois, mobilisé.

 Elle avait tout juste 20 ans et à cette époque, la plupart des écoles de campagne ne comportait qu'une seule classe pour les sections du cours préparatoire au CM2. 53 élèves de 6 à 14 ans, réunis dans la même classe, apportant leur bûche le matin en hiver et le casse-croûte à midi pour ceux qui faisaient 4 km à pieds pour venir à l'école, depuis les hameaux...pas de cantine bien sûr !

 Enfin, pourquoi je vous raconte tout ça ? C'est Paulette que je retrouve qui me ramène à mon enfance et ma jeunesse.

 Firmin et moi, étions trop jeunes pour être mobilisés mais on se sentait très patriotes et on voulait surtout pas que les « boches » nous prennent nos fermes et nos troupeaux.

 Alors on a rejoint le maquis en 1940 quand on a entendu, dans le poste, que le Maréchal avait signé l'armistice. Cette histoire, vous la connaissez tous !

 Le lendemain matin, Firmin n'était pas là, mal dormi nous-dit-on.

Et je me retrouvai donc avec Paulette à qui je prends le bras pour la conduire au petit salon. J'avais toujours sur moi la photo et la lettre

et je pense qu'elle avait dû sentir au ton de ma voix que j'étais inquiet : les personnes qui ne voient plus deviennent très attentifs aux sons.

 

P Paulette, je voudrais te parler de quelque chose que je viens de découvrir et je ne comprends pas pourquoi c'est maintenant que je l'apprends, à la fin de ma vie .

 

Paulette : Pas besoin mon Pierrot de me monter la photo de Justine, je n'y vois plus mais je me souviens de cette jolie brune aux yeux noirs dont les parents avaient un élevage de magnifiques Salers.

 Si tu veux bien, je vais un peu remonter dans le temps pour te raconter l'histoire de cette lettre que je pourrais te réciter par cœur et je vais te dire pourquoi. Cette lettre me bouleverse aujourd'hui autant que toi car j'ignorais qu'elle l'avait conservée.

 Je vais te raconter car c'est une belle histoire.

 Pendant cette sale guerre, j'étais responsable du réseau « Aubrac » auquel vous apparteniez toi, Firmin, Sébastien et Justine et d'autres dont j'ai oublié les noms. La prudence voulait que la milice ne puisse pas faire de recoupement si l'un d'entre nous tombait entre leurs pattes. Tu les sais bien !

 Justine portait les messages cachés dans la sacoche de son vélo mais un jour, elle fût arrêtée et soupçonnée d'appartenir à un réseau de résistance. C'est Firmin qui prit des risques insensés, au péril de sa vie, pour sortir Justine des griffes de la police, française pourtant.

A partir de ce jour, ils devinrent très proches et sans doute amoureux mais, Firmin, craignant trahir votre complicité, s'est tu.

 Quand vous vous êtes retrouvés à Paris au Salon de l'Agriculture, la guerre était finie et les français commençaient à revivre.

 Mais à son retour à St Chély, Justine est venue me trouver, complètement chamboulée par ce qu'elle venait de découvrir : elle était amoureuse de toi et en fille droite et sincère elle, elle pensait ne rien te dire et peut-être faire sa vie avec Firmin pour lequel elle avait de la reconnaissance et une grande affection.

 P – j'écoute, j'essaie de me souvenir, de retrouver un détail qui aurait pu m'avertir mais rien ne me revient à part le souvenir de qqs jours de fête à Paris.

 Paulette – C'est moi qui l'en ai dissuadée lui disant que si l'amour était venu à elle sans qu'elle le cherche, elle devait l'accueillir comme un beau cadeau.

 

P – Mais la lettre ? Car je savais que Justine n'avait jamais été forte en dictée...

 

Paulette – c'est moi qui l'ai écrite et elle l'a recopiée avec application.

Le secret leur pesait à tous les 2 et c'est sans doute pour ça qu'elle a voulu que tu saches maintenant qu'elle est partie.

 Et puis, à l'heure du goûter, j'ai vu arriver Firmin, mon vieil ami. A son allure un peu gauche, je devine maintenant qu'il sait que je sais.

 Nous nous tenons embrassés, les yeux humides mais plus unis que jamais.

 Demain, nous parlerons de Justine, de Néron, du beau Jules et nous repartirons tous les 3 sur les chemins de notre jeunesse...en déambulateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

acrylique et collage 008

5 février 2019

A l'hôtel du Lac

 

 Liliane Fainsilber 

2006-06-06 00

Ils étaient arrivés la veille dans ce grand hôtel. Situé au bord du lac de Castillon. il datait des années 1930 et avait été très bien restauré et modernisé par les actuels propriétaires du lieu. Le gérant, Camille Legrand, était un ancien banquier de Lausanne qui au bout d'un certain nombre d'années passées à conseiller ses clients sur la meilleure façon de placer leur argent en avait eu plus qu'assez et avait décidé de changer radicalement de vie. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à vivre et à travailler dans ce petit village de Saint André des Alpes. Tous les soirs, il recevait ses clients et les répartissait dans les chambres selon le prix qu'ils pouvaient y mettre. Certaines chambres très confortables et luxueusement meublées étaient à un tarif élevé, d'autres en attente de restauration et notamment dans l'annexe étaient au contraire très bon marché. De ce fait, la clientèle de cet hôtel était extrêmement variée, touristes huppés, c'était le cas de Rémi et de Catherine, y côtoyaient au petit déjeuner du matin, des randonneurs déjà tout équipés pour leurs longues marches, quelques représentants de commerce qui peu soucieux de leurs voisins prenaient déjà leurs rendez-vous de la matinée sur leur smartphone, et aussi il faut bien le dire quelques marginaux au statut social incertain déparaient un peu dans ce décor à la fois douillet mais aussi désuet. Parmi tous ces clients, Catherine avait eu le regard attiré par un beau ténébreux aux yeux de braise. Il devait avoir une trentaine d'année, il était mince et tout habillé de noir, elle lui trouvait noble allure. Que venait-il faire dans cette région et dans cet hôtel ? Elle aurait bien aimé le savoir mais se contentait de l'observer tandis qu'il buvait son café et dégustait ses croissants de bon appétit. Elle regrettait bien de ne plus avoir vingt ans pour pouvoir au moins essayer d'attirer son attention. Au bout d'un moment, il passa devant elle et se dirigea, sans la voir, hélas, vers la terrasse puis vers le parc. Il portait avec ses bagages, un violon dans son étui. Elle pensa donc qu'il devait être musicien. Dans le hall de l'hôtel, la veille, elle avait vu une grande affiche annonçant la venue d'un orchestre tsigane, peut-être faisait-il partie de cet ensemble.

A côté de leur table, tout un groupe de jeunes hommes avec quelques jeunes femmes discutaient avec animation. Leur journée serait bien occupée : En face de l'hôtel, partant d' un éperon rocheux assez élevé, des ailes volantes prenaient sans cesse leur envol et après de longues arabesques dans le ciel se posaient en douceur dans un vaste champ. Cet hôtel leur servait à tous de camp de base.

Catherine et Rémi avaient fini de déjeuner et profitaient de l'atmosphère agréable de la salle du restaurant si bien décorée lorsqu'ils virent arriver, entourée de quelques amis, J. G.. Catherine la trouva, en réalité, aussi charmante et simple que dans ses films. Elle portait un jean et un pull de cachemire d'une délicate couleur rose. Par discrétion, ils firent semblant de ne pas la reconnaître tout en se demandant comment cette si jolie femme pouvait avoir choisi de vivre avec un homme aussi dénué de charme que F. H. Sans doute avait-elle cédé au prestige de la fonction. Allait-elle le rejoindre à Castellane où il présentait peut-être son livre dans la librairie de la petite ville ? On pouvait toujours l'imaginer.

Ils s'étonnèrent quand même un peu de la variété des rencontres que qui se produisait dans ce petit hôtel de province aux allures si modestes. Il ne manquait plus que l'apparition éventuelle d'un grand magnat de la pègre marseillaise, assisté de tous ses acolytes. Ils seraient tous lourdement armés et démarreraient en trombe dans leur voiture de luxe. Mais au fond d'elle-même, Catherine, malgré sa soif d'aventures, ne souhaitait pas tellement vivre cette expérience.

Après avoir un peu profité des vastes fauteuils du salon d'apparat, ils poursuivirent leur voyage vers les gorges du Verdon et admirèrent les magnifiques paysages qui s'offraient à eux en ce début d'automne. S'arrêtant dans le petit village de Trigance surmonté de son château, ils dégustèrent sur la place du village une délicieuse daube cuisinée par la bistrotière et notèrent même la recette qu'elle leur avait confiée. En fin de soirée, ils se retrouvèrent chez eux, tout contents de cette petite expédition si dépaysante et pourtant juste à quelques kilomètres de leur maison.

 

6 février 2018

Le monde comme il va

 Christelle Prévôt

 

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France, 27 octobre 2014.

Deux ans qu’il attend ça. Deux ans. Assis dans sa loge, regardant sa grosse bouche rouge, sa peau blanche et ses grands yeux entourés de noir il pense ça y est, j’ai réussi. Les grosses ampoules entourant la glace, la salle qu’il entend applaudir, les fauves au loin qui rugissent, cette musique qu’il aime tant, et en doré sur fond rouge le nom de son cirque. Son cirque. Il en a enfin un. Il y a deux ans, il a serré sa dernière main dans son bureau exigu de la Société Générale. Il a décroché son nom de la porte, il ne voulait pas le laisser là. C’est bête. Directeur d’agence il y avait d’inscrit dessus. Ce titre qui lui a collé la nausée pendant de longs mois. Jusqu’à ce qu’il se décide. C’est le même titre qui est revenu dans la bouche de sa femme le soir où il lui en a parlé. Directeur d’agence. Un clown, elle a répété sidérée, moi tu ne me fais pas rire. Il y a eu les sourires sous capes des employés, les vous savez quoi ? Monsieur Clopin part faire une formation de clown ! Antoine ? C’est vrai ça, tu pars faire le clown ? Monsieur Clopin et mon portefeuille, je ne vais quand même pas le laisser à ses clowns, non ? Ah pardon, j’ai appris … Puis plus tard sous le chapiteau ils ne lui ont rien épargnés comme vannes les autres. Monsieur le directeur d’agence est devenu leur cul à botter préféré !

Mais tout ça, c’est du passé. Ce soir, il va faire son numéro. Ce soir, il est Auguste et aucun clown triste ne viendra lui voler la vedette. Ce soir, c’est son soir. Il entend son nom, c’est son tour, ça tourne dans son ventre, il a envie de vomir, il s’avance, respire profondément entre les rideaux, ce soir c’est son soir !

Lorsqu’il repasse les rideaux dans l’autre sens, il est aux anges ! Son numéro a eu un franc succès. Il a entendu des centaines d’éclats de rire, il a vu les enfants debout aux premiers rangs qui le regardaient amusés. Il s’en est nourri. Il est là pour ça. Il salue l’enfant qui était là il y a 43 ans de ça. Il boxe l’air, dans sa tête Eye of the Tiger du film Rocky, ses chaussures démesurées le font chuter, les autres sont hilares, c’est bon Antoine, t’es plus sur scène là, tu peux arrêter ! Bravo mon gars, c’était super, continue comme ça et tu pourras signer ton contrat ! lui dit son boss.

Continue comme ça, tu pourras signer ton contrat ! Cette phrase il faut qu’il la raconte vite à sa femme, tant qu’elle est chaude, il la répète encore et encore, il décide de ne pas se changer. Ses gosses aiment bien le voir déguisé. Ça leur permet d’oublier que parce que leur père fait le clown, ils n’ont pas toutes les fringues à la mode dans la cour de récré, mais un père clown, ça va, ça le fait lui a dit son aine pour le consoler. Il ramasse vite ses affaires, change quand même de chaussures, les enfourne dans son sac et le voilà partit.

Cela ne lui arrive pas souvent de se balader comme ça, en deux ans peut être une fois ou deux, notamment il se souvient de la fois où son aine a chuté dans la cour de récré : la tête des instits de voir un clown arriver, la joie des enfants ! Il y en a quand même un qui a pleuré …mais bon.

Il marche vite, il ne pense déjà plus à sa tenue, il a hâte d’arriver, ce n’est pas loin, deux, trois pâtés de maison. Il anticipe Chérie c’était génial ma première, demain vous viendrez, tu sais ce qu’il m’a dit : Continue comme ça et ….

Il tombe à genoux. Premier mouvement. Nouveau coup derrière la tête. Deuxième mouvement. Son torse à plat sur le bitume. Clac font ses dents et l’os du nez. Ils sont trois. Stallone version Rambo cette fois. Troisième mouvement. Une rangers s’abat sur ses côtes. Tiens le clown, prends ça, ah ! Tu fais moins le malin maintenant à terroriser les gens, on va te défoncer ! Il ne comprend pas, il avait pourtant fini par rigoler le gosse de la cour de récré…Dernier mouvement. Dans sa tête le refrain de sa chanson préférée des Kinks,Let’s all drink to the death of the clown s’éteint.

**

La la la la Let’s all drink to the death of the clown …

Cette chanson des Kinks lui trotte dans la tête depuis ce matin. C’est son père qui écoutait ça. Depuis que son groupe et lui sont des chasseurs de clowns, elle tourne en boucle dans sa tête. Il se demande bien où il peut être son père. Deux ans qu’ils ne l’ont pas vu ses frères et lui. Un dimanche, à peu près à la même époque, il se souvient des décorations d’Halloween dans les vitrines, ils l’avaient attendu en bas de l’immeuble. Il s’était mis du gel dans les cheveux, il aimait bien quand il l’appelait mon p’tit gars en passant sa main sur sa crête, il prononçait toujours son surnom doucement devant : Kév, mon petit gars. Cela lui faisait chaud au cœur. Il sentait ses pecs se gonfler et il lui demandait toujours : Papa, viens, on fait un bras de fer ! Parfois son père le laissait gagner. Ce n’était pas un con comme dit sa mère son père. Mais il y a deux ans, ses frères et lui étaient restés là plantés. Comme des cons eux, ça c’est sûr. Ils l’avaient attendu, quinze minutes puis trente puis ils avaient compris qu’il ne viendrait pas. Terminés les visites du week-end, ça pouvait pas durer leur avait dit leur mère pour les consoler, on peut pas compter sur celui-là. Ils étaient remontés chez eux, la tête basse. Lui était allé dans la salle de bain, il avait rincé le gel de ses cheveux. Depuis qu’il a rejoint le groupe, il les rase. Y’a plus de gel dans sa vie. Il laisse ça aux gominés, ceux qui portent des slims beiges trop courts, des mocassins et prennent des petits déj le dimanche autour de la table familiale avec père et mère. Ils ont même des écharpes les gars. Ce qu’ils ont pu rigoler avec ça la dernière fois. L’autre avec son gilet bleu marine. Sûr, sa mère elle a pas dû le reconnaître ! Il avait imaginé la scène le soir allongé dans son lit. Le père et la mère du gars au gilet bleu et à la petite écharpe bien lovée autour du cou. Il voyait un pavillon blanc avec un petit jardin, une table et des chaises autour. Là-bas de l’autre côté de la ville. C’était pas un des gars de leur bahut. Cela se voyait tout de suite. Il avait imaginé la mère assise en train de boire le thé et de lire, près d’un feu de cheminée. Sa mère à lui, elle lisait jamais. La télé c’était sa cheminée. Faut dire que depuis que son père s’était barré, avec les trois gosses à nourrir comme elle disait, pas le temps de chômer ! Le téléphone sonne. La mère écoute poliment, raccroche et part affolée. Allô Chéri ? C’est Édouard, sanglot, il s’est fait frapper ! Les urgences viennent de m’appeler ! Il les imagine quand ils ont découvert l’inscription que Jean a gravée sur son torse : BOUFFON. Sûr, que le père, cheveux bruns, raie bien marquée, a dû être un peu décoiffé. Ouais, c’est pas pour eux le gel, les slims, les écharpes et les gilets bleus, eux sont en tenue de combat. Tout le temps. D’ailleurs depuis ce matin, ils ont une mission. Il y a des clowns qui attaquent et terrorisent le quartier. Jean a dit qu’ils s’en étaient pris à une vieille qui avait failli y rester. Peut –être que pour une fois on pourrait taper utile ? On va pas les laisser faire ces dégénérés non ? Oh des clowns quoi ? On va pas rester là sans bouger ? Oh les gars, allez, on y va ! Allez quoi ! C’est les vacances, on s’emmerde, un peu d’action, ça se refuse pas !

Ils sont partis, couteaux à cran d’arrêt et batte de base-ball affûtes. Ils n’ont pas trop attendu avant d’en croiser un. Jean lui a mis un coup de batte dans les genoux par derrière, l’autre abruti n’a rien vu venir ! Il est tombé cash à genoux. Trop drôle. Ça lui a rappelé un spectacle qu’il a vu avec l’école une fois. Lui, il lui a balancé un coup de rangers dans les côtes puis il s’est interrompu soudain, de peur d’aller trop loin, il n’est pas prêt à tuer. Avec Jean qui s’acharne sur la tête du clown et cette chanson dans sa tête à lui, il pense bien que c’est ce qu’il va arriver. Let’s all drink to the death of the clown …

 

(https://www.youtube.com/watch?v=EwkjeuaaQWQ)

 

 

1 avril 2017

Une vie de chien

Liliane Fainsilber

 

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Je m’appelle Hugues. Je suis un mâle de plus de quarante kilos. Mon maître qui m’aime beaucoup prétend que je suis de noble race, celle des dobermans. Il parait même que certains de mes ancêtres avaient accompagnés les soldats sous la mitraille.

 Mais moi je sais bien que mon maître exagère car ma mère qui était certes une authentique chienne doberman a été montée par un des chiens de berger du village dont le pedigree était plus qu’incertain. C‘est de lui que j’ai hérité mon poil plus long que celui de mes frères et  sœurs et aussi une tache blanche insolite sur ma robe d’un beau marron foncé.

Peu de temps après ma naissance, une fois sevré, mon maître qui était pompiste m’a adopté et surtout m’a dressé pour que je devienne un bon chien de garde. Il travaillait souvent de nuit et était heureux de m’avoir à ses côtés pendant ses longues heures de solitude.

 

Emile, mon maître, avait trois enfants et j’ai aussi été heureux avec eux. Nous faisions ensemble de grandes promenades, eux à vélo et moi courant auprès d’eux. Ils avaient construit une cabane au fond du jardin à côté de  laquelle poussait un arbre couvert de fruits, qu’entre eux, ils appelaient des kiwis. Je n’en ai jamais goûté, ce n’est pas une nourriture pour chien,  mais mon maître disait toujours qu’ils contenaient beaucoup de vitamine C. A l’abri de cet arbre les enfants se cachaient et m’entraînaient avec eux dans leur cachette. Ils y jouaient au papa et à  la maman mais je n’ai jamais compris quel rôle ils me faisaient jouer à moi.

 

 C’est ainsi qu’au fil des années,  nous avons tous vieillis ensemble. Les enfants sont partis. Emile a vendu son garage, puis un jour il est parti en maison de retraite. Comme on n’y accueillait pas les chiens, mon maître a essayé de me confier à des amis, mais le fait que je sois si imposant de taille et que j’ai la réputation en tant que doberman d’être agressif et éventuellement méchant, personne n’a voulu de moi.

 

Cela vous explique que je suis maintenant enfermé dans une cage à la SPA et que je m’y ennuie à mourir. Je dois être un peu trop vieux pour être adopté. J’ai en effet un peu plus de neuf ans et pour un chien c’est déjà vieux.  C’est ce que disent tous ceux qui viennent au refuge pour choisir l’un d’entre nous.

Si je pouvais parler je leur dirais  bien qu’avec moi ils seraient d’abord bien gardés et que surtout je leur donnerai beaucoup d’affection. Mais quand ils viennent me voir, je ne peux que remuer la queue pour attirer leur attention.

 

Mais je garde espoir, peut-être qu’un jour un petit garçon ou une petite fille seront irrésistiblement attirés par moi et insisteront tellement auprès de leur parents qu’ils accepteront de m’adopter. Je le mérite bien. Rappelez-vous de moi, ne m’oubliez pas, je suis Hugues, le doberman.

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