La terrible vengeance de Victoire
Liliane Fainsilber -
Vladimir et sa femme Victoire travaillaient tous deux au grand cirque Pinder. Vladimir était dompteur et Victoire sur son trapèze, tout en haut du chapiteau, se lâchant des deux mains, impressionnait par ses prises de risques tous les spectateurs.
Ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre quand ils étaient très jeunes, mais les années avaient passé et Vladimir s'intéressait beaucoup désormais à une écuyère qui faisait son numéro en sautant d'un cheval à l'autre tandis qu'elle faisait ses tours de pistes.
Victoire était d'origine corse et avait un tempérament de feu. Il y avait de plus dans sa famille un long passé de vendetta. Un de ses frères avait exterminé toute une famille voisine, dans son village, en raison d'un regard jugé trop insistant à l'égard de sa soeur. Extrêmement jalouse de sa rivale, Victoire décida un jour de se venger des deux amants, mais comme elle souhaitait que cette vengeance soit cruelle, elle mit de longs jours avant de savoir comment elle procéderait.
Elle avait pensé un temps pouvoir les empoisonner en leur offrant un délicieux breuvage de sa confection, mais elle eut beaucoup de mal à convaincre le droguiste de lui vendre la mort aux rats qu'elle comptait y verser dedans.
Elle contacta de même un pharmacien de ses amis pour tacher d'obtenir une drogue suffisamment puissante pour pouvoir les endormir à jamais, quitte à souffrir terriblement de les savoir endormis l'un à côté de l'autre. Mais le pharmacien refusa également de lui rendre ce service.
C'est alors que Victoire commença à envisager une autre solution, solution qui exigerait d'elle beaucoup plus de patience pour arriver à ses fins.
Elle entreprit donc, comme première étape de sa machination, de séduire de ses charmes le responsable du spectacle celui qui avec le directeur organisait et surtout choisissait les numéros du cirque. Cela lui prit quand même un certain temps mais quand elle fut arrivée à ses fins, quand elle eut suffisamment d'influence sur lui, elle réussit à le convaincre de faire participer la jeune équilibriste au numéro que faisait le dompteur avec ses tigres et ses lions. Selon elle, ce serait en effet un magnifique numéro qui plairait beaucoup au public si au lieu de sauter d'un cheval à un autre lancés au galop, elle sautait sur le dos de ces fauves. Elle usa tellement de ses charmes qu'elle réussit à convaincre le manager de l'intérêt de ces prouesses jusque là inédites.
Poursuivant avec méthode son entreprise mortifère, elle demanda alors à son apothicaire des comprimés d'amphétamine, car elle devait, disait-elle, préparer des examens et devait absolument se tenir éveillée pour pouvoir étudier. Comme elle ne put obtenir de lui qu'une seule boite elle se trouva contrainte de renouveler l'expérience plusieurs fois auprès de tous les pharmaciens de la ville et des environs. Lorsqu'elle en eu, selon elle, une quantité suffisante, elle pensa qu'il était temps de passer à l'action.
Alors qu'à grands sons de trompettes, passant par toute la ville, les responsables du cirque annonçaient ce grand numéro, Victoire se glissa près de la cage des fauves et leur fit avaler dans un bout de viande qu'elle avait gardé de son dîner, tous les comprimés d'amphétamine qu'elle avait extorqué à tous les pharmaciens de la région. Au bout de dix minutes, les lions et les tigres commencèrent à s'exciter dans leur cage et ils était donc à même de réaliser la vengeance soigneusement concoctée de Victoire.
C'est ainsi qu'au milieu de la piste eut lieu un vrai carnage. Les lions et les tigres ne firent de ce pauvre Vladimir et de sa nouvelle compagne qu'une seule bouchée. Victoire était bien vengée.
Lorsque Hélène avait relu sa nouvelle et trouvé son titre, elle se demanda si ce qu'elle avait écrit était plausible. Ce qu'elle mettait le plus en doute c'est le fait que cette charmante écuyère ait pu ainsi chevaucher des tigres et des lions pour réaliser son numéro, mais, comme de toute façon on a beau souhaiter la mort de tous ses rivaux, il est rare de voir ces souhaits se réaliser, elle s'était dit que plausible ou pas, elle s'était bien amusée en écrivant cette nouvelle.
Elle croyait ainsi en avoir fini avec ce travail d'écriture mais il se trouva que pendant la nuit, elle fit un rêve : Elle assistait à une sorte de banquet ou de réunion de famille. L'atmosphère était joyeuse et détendue. Son mari à côté d'elle se mit soudain à écraser du poivre dans son cou, plus exactement dans le creux des clavicules qu'on appelle, quand les gens sont trop maigres, des salières. Elle lui demanda ce qu'il faisait mais sans attendre sa réponse, elle se réveilla.
Elle n'eut pas à chercher bien loin, la cause de son rêve. Il était un écho à la nouvelle qu'elle avait écrite la veille. Si son mari l'avait « assaisonnée » de sel et de poivre, c'était pour la manger toute crue. Dans son rêve, les rôles s'étaient donc inversés, c'était elle qui l'avait trompé mais de cette infidélité conjugale, il ne restait qu'une trace : le fait que son mari voulait se venger d'elle et menaçait de la dévorer comme les tigres et les lions de sa nouvelle.
Nul n'étant maître de ses rêves, s'il peut l'être de ses actes, elle décida de se pardonner cette rêveuse infidélité et surtout de la garder secrète. Elle demanda alors à son mari s'il avait bien dormi. Oui, lui répondit-il !