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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
9 juin 2019

Hamlet et Ophélie, aujourd'hui...

 Liliane Fainsilber 

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Quand l'histoire commence, Ophélie est tancée par son grand frère, Laertes, qui se croit autorisé à s'occuper de sa vie privée. Il vient en effet de découvrir que sa sœur est amoureuse d'Hamlet et il lui enjoint de ne tenir aucun compte de tout ce qu'il pourrait lui raconter. Ce ne peut être, selon lui, que des billevesées.

Il insiste lourdement : Ce jeune homme n'est pas pour elle, il sera appelé à de hautes fonctions, Il est en effet Prince du Danemark : «peut-être vous aime-t-il aujourd'hui ; peut-être aucune souillure, aucune déloyauté ne ternit-elle la vertu de ses désirs mais vous devez craindre, en considérant sa grandeur, que sa volonté de ne soit pas à lui ; En effet il est lui-même le sujet de sa naissance. Il ne lui ai pas permis comme aux gens sans valeur, de décider pour lui-même. Car de son choix dépendent le salut et la santé de tout l'état. »

Il ne peut donc qu'inciter sa sœur à protéger sa vertu : « Prenez y garde, Ophélia, prenez-y garde ma chère sœur, et tenez-vous en arrière de votre affection, hors de la portée de ses dangereux désirs ».

 

Devant un tel discours, Ophélie, celle du temps de Shakespeare, ne s'est pas révoltée mais a quand même rétorqué à son frère qu'il était assez inconséquent dans sa propre conduite, écrasant toutes les fragiles primevères qu'il rencontrait sur son chemin : « Mais vous, cher frère, ne faites pas comme ce pasteur impie qui indique une route escarpée et épineuse vers le ciel, tandis que lui-même, libertin repu et impudent, foule les primevères du sentier de la licence, sans se soucie de ses propres sermons. »

 

Dans cette même scène surgit, Polonius, son père, qui redouble les recommandations du grand frère : « Désormais, ma fille, soyez un peu plus avare de votre virginale présence[...]Quant au seigneur Hamlet, ce que vous devez penser de lui, c'est qu'il est jeune et qu'il a, pour ses écarts, la corde plus large que vous. En un mot, Ophélia, ne vous fiez pas à ses serments ; car ils sont non les interprètes de l'intention qui se montre sous les vêtements, mais les entremetteurs des désirs sacrilèges, qui ne profèrent tant de saintes et pieuses promesses que pour mieux tromper ». Il lui ordonne fermement de repousser son amour. On le constate, la perte éventuelle de la virginité d'Ophélie préoccupe au plus au point les mâles de cette famille.

 

L'Ophélie d'aujourd'hui, danoise moderne, élégante et court vêtue, ne s'est pas contenté, en répondant à son frère, de lui reprocher sa conduite mais l'a vertement envoyé promener lui suggérant de s'occuper de ses propres affaires. Elle entend bien mener sa vie à sa guise. Il en va de même, lorsque son père, Polonius, lui enjoint aussi de repousser Hamlet, de le décourager dans les manifestations de son amour, elle est bien décidée à ne tenir aucun compte de ses injonctions.

 

Si bien que, lorsque Hamlet très perturbé, comme en proie à un délire, vient la voir pour lui raconter l'épouvantable cauchemar qu'il a fait la nuit précédente, elle l'écoute avec beaucoup d'attention et essaie de le rassurer en le prenant dans ses bras pour le consoler, tel un enfant fragile.

Petit à petit, Hamlet peut alors lui décrire ce qu'il a rêvé.

Sur le coup de minuit, le fantôme de son père est venu à sa rencontre et lui a révélé que son oncle, celui qui vient juste d'épouser sa mère, l'a, en fait, assassiné pour prendre sa place, en tant que roi et en tant qu'époux, en lui versant une fiole de poison dans l'oreille tandis qu'il dormait. A ses yeux, ce crime ne peut rester impuni et donc Hamlet, son fils, se doit de réaliser cette vengeance. C'est pour le charger de cette mission qu'il est revenu du royaume des ombres. Hamlet, comme fou, est poursuivi par cette vision d'horreur.

Comment Ophélie pourrait-elle l'aider ?

Elle a certes lu Freud en classe de philosophie et elle s'intéresse beaucoup à l'interprétation des rêves, elle sait que même sous leur apparente absurdité, les rêves ont toujours un sens, mais elle n'a jamais appris à les interpréter.

Par contre elle a aussi gardé dans un coin de sa mémoire ce que ce grand psychanalyste, a découvert, le fait que, comme Oedipe, tout homme a un jour rêvé de coucher avec sa mère et de tuer son père. Elle se doute bien qu'Hamlet n'a pas échappé à ce destin et que de ce fait il se sent terriblement coupable d'avoir eu lui aussi un tel désir et que ce doit être la cause de son terrible cauchemar.

 

Ophélie pense donc qu' Hamlet a sur la conscience de terribles remords non seulement pour avoir éprouvé ces désirs de mort à l'égard de son père mais aussi à l'égard de son oncle qui maintenant en occupe la place.

Comment Ophélie pourrait-elle le tirer de là, que pourrait-elle lui dire ? Elle ne sait pas comment s'y prendre et faute de mieux lui demande de lui raconter à nouveau son rêve en lui recommandant de dire tout ce qui lui vient à l'idée à ce moment là.

Hamlet, en se remémorant la scène de sa rencontre avec le spectre de son père, réussit à lui dire petit à petit, à quel point il a été choqué par le fait que sa mère se soit remariée avec son beau-frère, si peu de temps après la mort de son premier mari et lui a surtout avoué qu'il aurait beaucoup aimé se venger lui-même de son oncle, tout autant que de venger son père, pour cette trahison.

Après un temps de silence, Ophélie, lui répond que même s'il en est offensé et qu'il lui en veut beaucoup, sa maman a quand même bien le droit de vivre sa vie et d'être heureuse en tant que femme avec son nouveau mari. Ce qu'elle souhaite pour elle-même également.

 

C'est ainsi que le drame d'Hamlet prend désormais une toute autre tournure grâce à son intervention décisive. Elle-même, grâce à l'amour qu'Hamlet lui porte, ne se noiera pas dans la rivière en essayant d'attraper des fleurs. Hamlet ne trucidera pas Polonius, caché derrière un rideau pour surveiller ce qu'il pourrait faire subir à sa mère. Laertes et Hamlet ne seront pas obligés de se battre à l'aide de leur épée empoisonnée. Ce dernier ne tuera pas le roi, et Gertude sa mère ne boira pas la coupe de poison. A la fin de la pièce, au lieu de ce grand carnage final de la tragédie shakespearienne, sept cadavres qui jonchent le sol, on pourra y célébrer à jamais les amours d'Hamlet et d'Ophélie. Mais il y a un grand perdant, dans cette nouvelle version de la tragédie, c'est le directeur de la compagnie qui la joue. Comme l'affirme le dicton, les gens heureux n'ont pas d'histoire et cette pièce de théâtre, sans son amoncellement de cadavres, désormais ne fait plus recette. C'est la faillite !

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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