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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
24 juillet 2016

La robe de Tamara

Liliane Fainsilber

 

 

robe de tamara

Rosa m'avait oubliée depuis de longs mois sur un cintre dans l'armoire de sa chambre. Je commençais à me demander en quoi, j'avais bien pu la fâcher. Je m'en inquiétais d'autant plus qu'elle me préférait depuis un vieux jean tout troué ainsi qu'un pauvre débardeur de couleur indéterminée à force d'avoir été porté et lavé. Je pensais qu'il devait se passer quelque chose de grave dans sa vie pour qu'elle me néglige ainsi, moi, sa robe préférée, la compagne de toutes ses sorties. J'avais eu beau essayer de saisir quelques bribes de conversation à travers les portes de l'armoire, je n'avais pas réussi à savoir ce qui se passait dans le monde extérieur, dans son monde à elle. Comme je ne pouvais pas parler, je ne pouvais donc pas le lui demander et j'en étais réduite à l'imaginer. Un jour par la porte justement entr'ouverte, je l'avais vu allongée sur son lit en train de pleurer, sans doute quelques chagrins d'amour étaient-ils la cause du désintérêt soudain qu'elle me portait. J'avais beau essayer de briller de toutes mes couleurs chatoyantes, aucun de mes charmes déployés ne pouvait attirer son attention sur moi.

 

Pourtant, un an avant, elle avait poussé la porte du Marché Saint Pierre, pour choisir le coupon de tissu dans lequel elle me taillerait et me coudrait. Elle a en effet des mains de fées. Elle avait choisi pour moi, un léger voile très coloré, un imprimé fleuri dans de beaux tons de bleus. Il avait quelque chose d'une toile de Chagall. Arrivée chez elle, elle avait disposé ce tissu sur la table de la salle à manger et armé de sa paire de ciseaux à couture avait commencé à me donner vie. Entre ses deux mains, piqué à la machine, voici que mon corsage avait pris forme. C'était un petit caraco, taillé très près du corps qui se prolongeait par une courte basque et qui, drapée sur ses hanches, exprimait sa féminité. Une jupe taillée en cercle me donnait beaucoup d'ampleur, ce qui me permettait de danser allègrement autour de ses jambes fuselées. Inutile de vous dire qu'en tant que sa nouvelle robe, je lui allais à ravir et que nous étions donc prêtes toutes les deux à aller danser.

 

Malgré ces débuts idylliques, j'étais donc maintenant abandonnée. Quelques temps après, la porte de l'armoire s'ouvrit et me poussant brutalement d'un cran, Rosa suspendit sur un cintre une nouvelle robe d'un rouge écarlate qui manifestement venait de la haute, de la haute couture. J'en éprouvais un grand chagrin mais aussi une intense jalousie. Ce n'était cependant que le début de mes épreuves. Bientôt je fus rangée dans un grand sac avec quelques autres habits dont elle ne voulait plus et déposée dans une benne. Étroitement serrée dans un ballot de vêtements dans une insupportable promiscuité et transportée ainsi, sans aucun égard, d'un continent à l'autre, je me retrouvais toute désemparée sur un marché d'Afrique. Quel dépaysement ! J'avais au moins échappé à deux autres destins encore plus terribles, celui de me retrouver transformée en chiffon à poussière ou en pâte à papier ! Sur l'étal d'une fripière, au milieu de chatoyants boubous africains, je me demandais, en toute modestie, qui voudrait bien de moi, avec mes discrètes fleurs bleues. Foulée par de nombreuses mains, j'ai d'abord été essayée par de somptueuses matrones qui, en raison de leur opulence ne pouvaient pas, de toute évidence, envisager de se parer de moi sauf au prix de faire craquer toutes mes coutures. Mais en fin de soirée, à la tombée du jour, je vis arriver une mince adolescente vêtue de haillons. J'ai su tout de suite que c'était elle que je voulais habiller, c'était elle que je voulais embellir. Mais est-ce qu'elle aurait assez d'argent pour m'acheter. M'ayant, elle aussi choisie, elle négocia longuement mon prix avec la marchande et m'acheta pour deux euros ! C'est ainsi que depuis au lieu de me nommer Robe de Rosa, je m'appelle désormais Robe de Tamara. Certes je ne serai pas lavée souvent, car dans notre village il n'y a pas beaucoup d'eau, mais au moins je ne serais plus enfermée dans une armoire, car je serai son unique robe. Avec elle, j'irai garder tous les jours ses quelques chèvres dans la savane. Avec elle, je vieillirai tout doucement.

 

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12 juillet 2016

Laissés en héritage

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 Liliane Fainsilber -

 

 

 

 

Arrivés au moment de la retraite, Gabriel et Chloé étaient devenus des peintres du dimanche. Comme ils n'avaient plus touché un pinceau depuis les années de l'école maternelle, ils s'inscrivirent donc dans un atelier de peinture pour en apprendre les rudiments. Joséphine, celle qui leur donnait ces cours, était une très bonne pédagogue. Elle laissait ses élèves s'essayer à leur propres tentatives puis quand elle les sentait arrivés à leurs limites, elle leur proposait alors son aide. En hiver, elle préparait de savantes natures mortes en atelier, mais dès le printemps, ils choisissaient de peindre sur le sujet, les magnifiques paysages du Vexin, avec ses champs de blé et ses bosquets d'arbres à perte de vue ou encore les bords de Seine et les falaises blanches de Vétheuil qui avaient tellement inspirés les impressionnistes.

Ils avaient par la suite et au fil des années, fait de nombreuses toiles. Certes ce n'étaient pas toutes des chefs d’œuvres mais ils y avaient mis tout leur cœur et leur sensibilité devant un beau paysage ou une belle nature morte.

C'est ainsi que dans leur grenier, ils avaient accumulés un grand nombre de tableaux dont maintenant ils ne savaient plus que faire. Arrivés au bout de leur longue existence, ils se demandaient quels destins ils auraient après leur mort, leurs enfants et petits enfants ne témoignant pas d'un grand intérêt pour leurs productions.

C'est Julie, une de leurs amies, qui leur donna l'idée, de déposer sur le bord de la route, quelques uns de ces tableaux, pour qu'un passant qui les aurait aimé, puisse ainsi les recueillir. Gabriel n'avait aucune envie de se séparer d'eux par cette rude méthode, mais Chloé avait été séduite par ce projet de laisser ainsi leur chance et une vie d'aventure à ces peintures.

 

Elle choisit celui qui serait ainsi le premier à être abandonné aux lois du hasard : cette toile avait été peinte dans un champ d'oliviers proche du village et représentait un paysan monté sur un escabeau de bois très rustique et qui taillait ses oliviers. Des collines bleues étaient peintes en arrière-plan. En retrouvant ce tableau, elle se dit que l'escabeau devait être un peu retravaillé, il était à peine esquissé. Donc avant d'aller le déposer sur un petit muret en bordure de route, elle sortit ses pinceaux et sa palette pour remettre sur sa toile quelques petites touches de jaune et de gris pour donner à cet escabeau plus de présence.

Une question se posait à elle : est-ce qu'elle le signerait de son nom, avant de l'abandonner ainsi ? Elle hésitait entre le fait d'y inscrire juste ses initiales ou de se trouver un nom d'emprunt, un nom qui pourrait peut-être faire rêver celui qui trouverait ainsi ce tableau et déciderait de l'adopter. Cela la fit penser à ces peintres italiens qui prenaient le nom de leur ville, par exemple, celui qu'on nommait Francesco Parmigiano, le peintre de la ville de Parme. Se fabriquer un nom avec le nom de son village ne lui plaisant pas trop, elle mit momentanément cette question en suspens.

 

C'est ainsi qu'un petit matin de grand soleil, car elle ne voulait pas que son œuvre soit soumise aux intempéries, elle se décida à abandonner sur le bord de la route qui menait au village sa toile du paysan taillant ses oliviers. Elle le plaça avec soin sur un joli petit muret de pierres sèches, parmi quelques pieds de thym et de cistes. Il se trouvait donc en bonne compagnie. Il était même à l'ombre, car un chêne vert le protégeait de la chaleur du soleil. Non sans quelque appréhension, elle l'abandonna donc, se réservant la possibilité de revenir en fin de journée pour savoir s'il avait été adopté et donc peut-être aimé par un passant. De celui qui le trouverait elle ne pourrait rien savoir mais elle pourrait toujours l'imaginer.

 

Le premier qui aperçut ce tableau fut Benjamin qui se rendait à l'école à vélo. Très intrigué par le côté insolite de sa trouvaille, il n'osa pas tout d'abord se l'approprier, pensant qu'il avait été oublié ou perdu par le peintre qui l'avait réalisé. Mais il était tellement exposé à la vue, que cela constituait presque un appel à s'en saisir. Il le mit donc dans son cartable et arrivé à l'école, le montra à ses amis. Même la maîtresse s'intéressa à sa trouvaille et chercha la signature de ce tableau. Dans un petit coin, presque noyé dans le vert de l'herbe, elle devina plus qu'elle ne put le lire ces quelques lettres LILOU LELOUP. C'était un nom qui lui était inconnu mais elle se promit de faire une petite enquête, pour trouver qui était ce peintre qui abandonnait ainsi ses toiles.

 

Comme Benjamin n'était pas féru de peinture et ne savait pas trop quoi faire de ce tableau, il le donna à son amoureuse, la petite Marie, qui toute heureuse l'emporta chez elle et le montra à ses parents. Ils le trouvèrent, quoique un peu maladroit, de couleurs vives et son père proposa de faire un cadre pour pour pouvoir l'accrocher au mur de leur salon. C'est ainsi que le premier tableau de Chloé fut adopté en toute simplicité.

 

Quelques jours après, forte de cette première expérience, Chloé chercha dans son grenier, le second tableau qu'elle déciderait d'abandonner à nouveau sur le bord de la route. Elle choisit cette fois-ci un nature morte qu'elle aimait beaucoup. Deux citrons d'un jaune très vif étaient peints sur une assiette de porcelaine blanche à motifs bleus. Pour les mettre en valeur elle les avait peints sur un fond gris bleu foncé. Elle eu un peu mal au cœur d'abandonner ainsi cette toile mais elle trouvait en même temps que c'était la seule façon de lui donner quelque chance d'être appréciée à sa juste valeur, plutôt que d'être oubliée au fond de ce grenier et pour peut-être finir un jour à la décharge ou dans le camion d'un brocanteur.

 

Comme c'était l'une de ses toiles préférées, avant d'aller la poser sur le petit muret de pierre, elle demanda même à Gabriel de lui faire un cadre de bois qui pourtant très rustique le mettrait en valeur. Quelques heures après avoir été déposé, elle eut le plaisir de constater que son petit tableau avait déjà trouvé son nouveau propriétaire. Qui pouvait-il être ?

Elle aurait aimé, que cette fois-ci, cette nature morte soit trouvée par deux touristes anglais qui passeraient sur ce chemin et qu'ils l'emmènent un jour dans le nord de l'Angleterre, par exemple, dans cette cossue petite ville de Chester. Elle aimait bien l'idée qu'elle se trouverait ainsi douillettement installée au cœur de l'une de ces romantiques maisons victoriennes.

 

C'est ainsi que Chloé au fil des jours, se préoccupa du destin de chacune de ses toiles, leur offrant à chaque fois un destin romanesque parce que plein d'imprévus. Elle espérait même qu'un jour un de ceux qui étaient devenus ainsi les dépositaires de ces tableaux essayerait de savoir qui était cette Lilou Le loup, celle qui leur avait donné le jour. Ils apprendraient, en se renseignant auprès des anciens dans le village, qu'elle avait vécu, il y avait quelques années de cela, sur les collines de Flayosc, une petite maison entourée d'oliviers centenaires et que c'était en admirant ces magnifiques paysages qu'elle avait peint les plus beaux sujets. Cela serait en quelque sorte un petite reconnaissance posthume, certes modeste, de ses talents de peintre.

Mais plus que celle de Chloé, c'est davantage l'histoire de ces quelques tableaux laissés en héritage qui voulaient être un peu aimés et donc choisis par ceux qui les avaient trouvés. Dans leur maison, ils souhaitaient occuper une place d'honneur. C'est bien connu, les objets manquent totalement d'humilité et de modestie : tout leur est dû.

 

Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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