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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
15 novembre 2016

Tous les maris de Sarah

 Liliane Fainsilber

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Je m’appelle moi aussi Sarah, mais je ne suis pas la femme d’Abraham, celle qui a attendu des années, plus de quatre vingt ans, pour avoir enfin un enfant. Non, je suis une autre Sarah, mais mon sort n’a pas été plus enviable. J’avais à peine quinze ans quand mes parents ont décidé de me marier avec un lointain cousin. Ils m’échangèrent contre trois brebis et un âne. Je n’avais jamais vu ce prétendant, mais il avait la réputation d’être courageux au travail et sobre. Les cérémonies du mariage furent grandioses, car j’étais fille unique et mes parents des fermiers aisés. Le jour de mes noces, au travers de  mes voiles, je pus apercevoir celui qui m’avait été promis. C’était un bel homme. Dans la soirée, les matrones m’emmenèrent dans la chambre nuptiale, là où le mariage aurait dû être consommé. Hélas, à peine était-il entré dans la chambre, que mon mari s’écroula par terre comme terrassé. Il n’avait même pas eu le temps de s’approcher de moi.

Tous les assistants de la noce commentèrent avec force détails  l’événement. Il fit en effet grand bruit et cela nuisit beaucoup à ma réputation. On racontait, de tente en  tente,  que j’avais  jeté un sort à mon mari et que j’étais une vraie sorcière. Mes beaux-parents me chassèrent de leur maison et je retournai vivre chez mes parents qui essayèrent plusieurs fois de me marier mais en vain.

On dit souvent que ce que raconte la Bible est parole d’évangile mais pas toujours. Selon elle j’ai eu en effet sept maris tous morts pendant notre nuit de noces. En fait c’est déjà assez terrible mais il n’y en a eu que trois.

Les prêtres et les devins consultés me disculpèrent car ils pensaient que c’était Asmodée, un démon, qui faisait ainsi mourir tous mes prétendants avant même qu’ils aient pu s’approcher de moi. Certes j’avais ma petite idée sur le responsable de tous ses meurtres, je pensais que c’était Absalon, un homme un peu simple que je connaissais depuis l’enfance et qui avait toujours été amoureux de moi. Je ne sais quel moyen efficace il avait trouvé pour les faire disparaître les uns après les autres, peut-être quelque poison ou breuvage.  Je restais ainsi vierge et sans enfant, bien que trois fois veuve, pendant plusieurs années jusqu’au jour où vint auprès de nous, pour prendre le risque de m’épouser, un homme valeureux, Tobias. 

Plus tard, au cours des veillées dans le désert quand nous gardions nos troupeaux, il me raconta comment il avait été accompagné dans cette démarche risquée, par un envoyé de Dieu, un ange, l’ange Raphaël. C’est en effet lui qui l’aida à triompher de celui qu’on avait rendu responsable de la mort de mes trois premiers maris.

 

Voici comment il me raconta petit à petit sa version de l’histoire. C’est son père qui avait décidé que Tobias m’épouserait parce que j’étais une femme de sa tribu. Il disait de plus que j’étais belle et sage. Ma mauvaise réputation n’était donc pas arrivée jusqu’à lui. Tobias, avant de venir pour me demander à mes parents, car c’était un grand voyage,  chercha un homme pour l’accompagner. Il se faisait appeler Azarias mais il était en fait,  sans que Tobias en sache rien, l’ange Raphaël. Ils se mirent en route et le soir venu campèrent sur les bords du Tigre. Tandis qu’ils se baignaient tous deux, un poisson s’élança du fleuve et voulut avaler Tobias. L’ange lui dit «  Attrape ce poisson. Ouvre le et prend le cœur, le foie et le fiel ».

Comme Tobias lui en demandait la raison, Raphaël lui expliqua qu’avec le cœur et le foie de ce poisson on pouvait se débarrasser d’un esprit méchant ou d’un démon. Il suffisait pour cela de les mettre à fumer devant l’homme ou la femme qui était  persécuté.

Au moment d’arriver près de notre village, Tobias avait pourtant grand peur de perdre la vie à son tour. Pourtant, avec ce précieux talisman, il mit sans peine  en fuite le démon qui me persécutait depuis des années.  Les mauvaises odeurs qui se dégageaient du cœur et du foie  de ce poisson, déposés sur un brûle-parfum dans la chambre des épousailles, firent leur oeuvre. Je ne sais si c’est pour cette raison, mais il est vrai que les noces purent être enfin célébrées. Nous nous étions engagés, pour respecter la tradition, à faire abstinence pendant trois jours durant, mais cela faisait si longtemps que j’attendais d’être enfin aimée que nous n’avons pas pu résister à la tentation. Cependant l’honneur était sauf puisque c’était  pour assurer à cette grande lignée de prophètes auquel appartenait Tobias,  une nombreuse descendance. Parmi nos descendants, viendrait en son temps, le plus célèbre d’entre eux, Jésus de Nazareth.

 

Je sais bien que les voies du seigneur sont impénétrables mais, avec le recul que procure les années,  je pense que ce n’était ni Asmodée, ni Absalon qui avaient fait disparaître mes trois premiers maris. J’ai bien peur que ce ne soit Dieu lui-même car il avait décidé que ce serait Tobias, le quatrième qui m’épouserait. Il n’avait pas ainsi hésité à transgresser le premier des dix commandements qu’il avait lui-même édictés « Tu ne tueras point ! »

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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