Zabeth Stépan-
Regarde-moi, admire-moi, je suis fier, droit.
Tel une flamme vert sombre je m’élance vers le ciel bleu de Provence.
Qui suis-je ? Tu me connais bien, je dirais même que tu ne connais que moi. C’est moi, le cyprès, mais pas n’importe quel cyprès.
On m’appelle « Florentin », sûrement parce que mes origines sont toscanes. Mes congénères, là-bas, sont nombreux, ils décorent avec grâce le paysage si doux du centre de l’Italie. Je ne sais quand on nous a ramenés ici en Provence, à l’époque bénie de la Renaissance sans doute… Je ne sais pas non plus qui, dans ses bagages, nous a importés et installés chez vous comme l’a été l’art du Quattrocento.
Force est de reconnaître que nous nous plaisons dans cette contrée hospitalière. Maintenant, nous y sommes nombreux et d’aucuns pensent que c’est notre terre d’origine.
Et moi, alors ? Je ne suis pas seul évidemment, nous sommes des frères, plantés il y a longtemps déjà, trois frères, comme c’est l’habitude par chez nous.
Notre trio se dresse près de la maison. Je suis le plus haut, le plus beau peut-être, le plus modeste sûrement pas.
Je me plais énormément ici. J’aime les oiseaux qui me visitent, même les pies, ces jacasseuses qui se perchent bruyamment à ma cime. J’aime la brise d’été qui me balance gracieusement et me rafraîchit. Je crains le mistral violent quand il se déchaîne, emportant les nuages, nettoyant le ciel ; heureusement que je ne suis pas comme le chêne de ce cher Jean de La Fontaine, je résiste…
Il faut dire en ma défaveur que je ne suis pas très utile, vu que je ne suis pas capable de proposer une ombre réconfortante à mes hôtes. Nonobstant, je crois qu’ils aiment l’image que je leur offre, sinon, pourquoi m’auraient-ils choisi ?
Je les entends quelquefois au printemps se plaindre de moi. Toute cette poudre jaune que je rejette les agace un peu ; tout de même, il faut bien que mon pollen se répande. D’accord, j’en conviens, par moments, c’est comme un nuage rabattu par le vent qui se dépose partout et qu’il faut nettoyer. Heureusement cela ne dure pas longtemps et par chance, dans cette famille, ils ne sont pas allergiques ! Sinon, pauvre de moi, ils me couperaient, m’arracheraient, me détruiraient, ce serait un drame horrible.
J’en serais fort marri, moi qui ai été le témoin muet de toute leur vie familiale.
Quand je suis arrivé, la maison était déjà là. J’ai aimé écouter leurs discussions pour le choix de mon emplacement alors que j’attendais en compagnie de mes frères. Ensuite, j’ai apprécié le soin avec lequel ils m’ont planté, l’attention avec laquelle ils ont guidé ma croissance.
Avec le temps, j’ai regardé grandir leurs enfants, assisté à leurs repas en été sous la tonnelle, fait connaissance avec leurs amis, regretté leurs disputes pour être ensuite heureux de leurs réconciliations. Que de souvenirs j’ai emmagasinés au cours de toutes ces années !
Maintenant, ils ont vieilli, je le vois bien, moi aussi en effet, mais nous restons proches.
Qui de nous terminera sa vie le premier ? Moi, je me sens solide encore, sûrement plus qu’eux, notre mère nature est beaucoup plus indulgente avec nous les arbres. Il faut dire que je serai fort malheureux lorsqu’ils me quitteront.
Je réfléchis à tout cela et je sais que d’autres viendront, il faudra simplement que je m’habitue à ces nouveaux compagnons.
Mais ce moment n’est pas encore là. Profitons du soleil bienfaiteur, du souffle léger du vent, des rires, des chants, de tous ces moments de bonheur.
Le temps n’est pas venu de se désoler.