La dame aux renards blancs
Liliane Fainsilber -
Un matin Isadora reçut par la poste un manuscrit. Une tasse de thé en main et confortablement installée, elle se prépara à le lire. Elle travaillait en effet dans une petite maison d’édition spécialisée dans les sciences humaines et était membre du comité de lecture.
D’emblée dès qu’elle entra dans la lecture de cet ouvrage elle éprouva un sentiment d’étrange familiarité. Son titre même l’avait intriguée : « La dame aux renards blancs ». Elle avait tout de suite imaginé la silhouette élégante d’une femme des années 1920, 1930, emmitouflée dans des fourrures, mais en se plongeant dans le manuscrit, elle ne trouva rien de tout cela. L’auteur y relatait sous une forme romancée les enfances d’une petite fille phobique, sa phobie ayant débuté à l’âge de quatre ans, à la suite d’un cauchemar. Une nuit elle se réveilla en criant alors qu’elle voyait dans son rêve quatre ou cinq renards blancs, sur deux arbres perchés, la regardant fixement. Elle se réveilla dans un très grand état d’angoisse car elle avait eu peur que ces renards ne l’égorgent comme les poules de leurs voisins et ne la dévorent.
C’est alors qu’Isidora prêta attention à celle qui était l’auteur de ce manuscrit. Elle découvrit que son nom lui était familier. Elle s'appelait en effet Gisèle Couturier et elle avait été sa psychanalyste. Elle s'étonna alors d'avoir oublié à ce point ce rêve des renards blancs qu'elle avait si souvent fait dans son enfance et qu'elle avait longuement analysé pendant ses presque dix années d'analyse.
Dans les brumes de l’enfance, elle se souvenait aussi combien elle avait beaucoup aimé les histoires que lui racontait sa mère avec toutes les astuces et les subterfuges de celui qu’on appelait Maître Renard. Elle se souvenait notamment qu’il avait incité le loup à pécher des anguilles avec sa queue dans un étang gelé et que ce pauvre loup l’avait perdu. Elle savait donc qu’il avait plus d’un tour dans son sac.
C'est ainsi que longtemps après, devenue adulte et en analyse, elle avait attribué ces dons à sa psychanalyste, au moins pour un temps, car après un long travail, elle l’avait dépouillée de ces pouvoirs.
Plus tard encore, elle s'était plongé dans l'une des cinq psychanalyses de Freud, celle de l'Homme aux loups et elle avait découvert à quel point leurs deux histoires étaient proches, l'un avait en effet la phobie des loups et l'autre la phobie du renard, l'un était un homme et elle était une femme.
Désormais, elle savait que c’était elle cette belle dame aux renards blancs, enveloppée dans ses fourrures qui exaltaient sa féminité. Elle était l’héroïne de ce roman inventée mais à peine par son psychanalyste. Sans doute en tant qu'analysante l'aurait-elle inventée d'une toute autre façon en l'écrivant à la première personne mais elle serait d'accord pour éditer le premier roman de sa psychanalyste.