Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
31 janvier 2016

Cuisiner, quelque soit la saison

Bernadette Zygart -

40-recettes-de-plats-mijotes-pour-se-rechauffer

Les magazines regorgent de recettes de cuisine ; aujourd'hui nous quittons ce qu'on appelle la période des fêtes de fin d'année.
Passe l'Epiphanie et son cortège de galettes toutes meilleures les unes que les autres. Les menus basses calories prennent le relais avant d'aborder le printemps, la fête de Pâques,les oeufs dans toutes les versions, et puis l'agneau si tendre.
Les grandes vacances approchent, vite il faut songer à paraître au mieux de sa forme dans le maillot de bain,garder ou obtenir le "look" devient alors prioritaire !
Enfin, c'est la rentrée, il faut garder les acquis de l'été, se nourrir léger et équilibré jusqu'aux fêtes où,habituellement tout est permis.
J'adore faire la cuisine ! Tellement que j'en fais très peu, de peur de rater.  Et puis, imaginez le nombre de suggestions culinaires proposées dans les hebdomadaires ou mensuels...
Attirée par l'image du produit fini, après lecture,lorsque j'évalue mes probabilités de réussite,je me lance dans la préparation. Soudain je suis prise de fébrilité, lisant et relisant
la composition, les quantités nécessaires, le déroulement  par étapes. Je me demande : "Ai-je tous les ingrédients demandés ? Rassemblant tous les éléments,je commence ;
et cela se bouscule un peu dans ma tête,je me sens pressée d'avancer ;en même temps je vérifie dans le magazine, que j'ai sous les yeux bien sûr, le déroulement de la préparation. Parvenue au moment où il faut  rajouter telle saveur ou telle épice qui donne le goût,voilà que je n'en ai plus, ou bien il fallait l'ajouter au début, j'ai mal lu, trop  pressée sans doute, trop remplie de cette fébrilité désagréable impossible à dominer. Je voudrais à la fois avoir fini et prendre mon temps; j'aime le travail bien fait et la cuisine se prête bien à ce genre de contradiction : elle prend l'"exécutante par les sentiments par le construction d'un chef'd'oeuvre du goût, mais que vienne à manquer un composant
même insignifiant et toute l'exécution est perturbée. En même temps un ratage quel qu'il soit,laisse la place à une autre chance, un autre jour. En fait ce ratage peut être 
programmé dès le début, "sauter" une ligne de lecture n'étant  peut-être pas innocent,surtout si c'est récurrent.
Qu'importe, cela deviendra ma touche personnelle.
Publicité
Publicité
30 janvier 2016

WARUM ?

Par Zabeth STEPAN

Warum ! Non, il ne parle pas allemand, mais, dans le fond de ce carton où dormaient depuis quelques décennies de  nombreuses vieilles cassettes audio, il vient de la retrouver.

Cette chanson, ce slow inoubliable, que de souvenirs elle fait resurgir !  Vite, chercher un lecteur, oui, cet antique baladeur, pourvu qu’il fonctionne ! Sa main un peu tremblante engage la cassette, appuie sur la touche et la voix grave de Camillo s’écamillolève et le plonge dans une douce rêverie.

Emotion, quand tu nous tiens… Il revoit la pochette du 45 tours qui tournait inlassablement dans sa chambre sur le petit tourne disques Teppaz. Il se souvient du visage du chanteur, photo en noir et blanc, la pipe qu’il allume et la fumée qui l’enveloppe. Et par-dessus tout, il revoit, non, il revit les surprises parties adolescentes, est-ce qu’on disait les surboums déjà ? Comment oublier les slows langoureux dans la pénombre, le balancement des corps qui suivaient la musique et surtout les filles qu’il tenait dans ses bras et embrassait maladroitement. Elles étaient toutes jolies, bien sûr, et il s’empressait de flirter avec elles craignant peut-être que sinon, elles ne s’intéressent pas à lui.

Il en avait du succès, beau garçon, particulièrement drôle, et était par la même devenu la vedette des bals du dimanche après-midi. Il n’avait qu’une envie irrépressible, enlacer ses cavalières, les entraîner sur la piste, sous la boule à facettes qui tournait au plafond.

Son seul souci à cette époque, laquelle choisir, avec laquelle commencer une histoire d’amour ? Dommage, il était sûrement trop inquiet de rater la plus intéressante, ne savait se décider et se contentait de papillonner de l’une à l’autre. Vite, séduire ; nostalgique, il se souvient de ces attitudes et se demande : pourquoi ce comportement hâtif, un peu brusque, trop pressé de plaire, de courtiser ? Il se demande encore si ces manières ne l’avaient pas fait cataloguer comme un garçon frivole, moqueur, pas vraiment sentimental. Sa réputation de dragueur, de don juan, le desservait-elle ? Peut-être… quoique… les filles avaient toutes le même objectif : sortir avec lui qui était la coqueluche du lycée et qui sait, être celle qui saurait le conquérir et le garder.

Souriant, il fredonne, accompagne la chanson, il en a oublié les paroles, pourtant, avant il savait les dire en duo avec Camillo. Il en connaissait même la traduction. Il se revoit les murmurant à l’oreille de ses conquêtes qui le regardaient d’un air énamouré. « Souvenirs, souvenirs » comme le chantait Johnny à cette époque !  « C’était bien ! » et même comme disait Michel Delpech « c’était chouette, on y retournera. » En fait, on y retournerait bien.

Depuis, le temps a passé…. Cette période magique de la jeunesse s’est enfuie, emportant le joyeux souvenir de toutes ces aventures. Ce n’est pas avec une de ses petites amies d’alors que sa vie s’est faite. Peut-être trop pressé, n’a-t-il pas su retenir le moment ? Tout coulait entre ses mains comme du sable.

Au fil des souvenirs, au fil de la chanson, il ressent de nouveau les sentiments de son âme adolescente, son impatience, sa curiosité et même sa maladresse.

Agréable et doux moment de retour dans son passé ; la chanson terminée, il n’a qu’une envie : l’entendre encore et encore, puis songer encore et encore.

Quand enfin il ouvre les yeux, quand il reprend pied dans le moment présent, la douceur demeure telle un bonbon acidulé.

Des regrets ? Non, sûrement pas, il n’a rien manqué, rien raté. S’il revenait en arrière, serait-il différent ? Non, il ne le croit pas. Qu’y a-t-il de plus aussi beau que la jeunesse, beaucoup de poètes l’ont écrit, chacun à leur façon et tout compte fait, il ne peut qu’être d’accord.

A présent, devenu sentimental, il gardera pour toujours son jardin secret. Il lui sera facile de s’y promener grâce chaque fois à l’écoute de cette chanson si romantique.

Merci Monsieur Camillo et vous, ne me demandez pas : «  Warum, sag warum ? »

 

 

30 janvier 2016

Le poids de l'histoire

794891804-pas-de-l'oie-armee-de-l'air-allemande-rassemblement-des-troupes-casque-metalliqueDaniel Fainsilber -

Antoine sait qu'il est adopté et que ses parents allemands l'ont confié à quatre ou cinq ans à des amis américains. Il croit connaître la date et lieu de sa naissance et le nom de son père. Ses parents adoptifs lui ont donné leur nom bien américain et prétendent ne rien savoir de l'histoire de ses parents. On peut imaginer que Heinrich, le père, a été déclaré criminel de guerre et qu'il faisait partie des SS, qu'il avait organisé des massacres systématiques en Russie ou des les camps de concentration, en Allemagne ou en Pologne. On a du mal à concevoir la sauvagerie des SS en Russie. Le livre de Little, « Les bienveillantes », donnent des descriptions terribles de villages incendiés, de paysans massacrés, de juifs brûlés vifs dans les synagogues ou gazés dans des camions étanches. Antoine, à l'adolescence, avait lu avec effroi ces récits et ne pouvait qu'imaginer l'implication de son père. Après la guerre, Heinrich avait échappé à la justice, en utilisant les filières du Vatican, de couvents en couvents, en Autriche, en Italie et passage en Argentine ou en Colombie, sous une fausse identité.

Sans doute avait-il voulu éviter à son fils le poids de la culpabilité et les pérégrinations et les multiples changements de domiciles et d'identités, du fait de la traque des nazis après la guerre. Antoine cependant est très désireux d'aller en Allemagne pour essayer de retrouver sa famille d'origine, peut-être même ses grands parents. Il pourrait reconstituer au moins une partie de la vérité. Cependant quoiqu'il fasse il ne pourra pas échapper à l'histoire de sa famille. Le poids de cette histoire pèsera sur toute sa vie, il en souffrira et même ses enfants et ses petits enfants en resteront marqués.

29 janvier 2016

A Sainte-Hélène

Par Zabeth STEPAN

Printemps 1820, Longwood House, austère bâtiment battu par les alizés sur un promontoire de l’île Sainte-Hélène. Napoléon réside depuis cinq ans déjà sur cette île perdue au milieu de l’Atlantique sud, à quelques 2 000 kilomètres des côtes africalongwoodines. Les Anglais, auxquels il s’est rendu après la déroute de Waterloo, l’y ont exilé, presque au bout du monde, pour ne pas risquer  de nouveau un retour de ce Corse diabolique.

Ce matin, le monarque déchu attend la visite de Sir Hudson Lowe, le geôlier intraitable qui lui a été assigné et qui lui rend la vie impossible.

Le voici qui entre. Napoléon l’interpelle assez sèchement, il ne supporte pas l’arrogance de son gardien mais doit lui adresser une requête :

«  Monsieur, mon médecin, François Antonmarchi, me conseille de prendre plus d’activité physique. »

La réponse de Lowe tombe tel un couperet :

« De l’activité physique ? C’est pourtant vous, Bonaparte, qui refusez de sortir pour ne pas vous exposer aux regards… »

La réplique du prisonnier claque :

« Moi, refuser ! Comment osez-vous ? Depuis votre prise de fonction, toutes choses me sont restreintes, mon courrier, mes lectures, mes visites, mes promenades sans surveillance. 

En effet, martèle son interlocuteur, j’ai des ordres pour cela.

Des ordres ! Pas seulement, vous êtes pointilleux, rigide, on aurait pu difficilement trouver mieux pour occuper votre fonction. Que craignez-vous donc ? »

Hudson Lowe ne répond pas. Il a appris à se méfier de Napoléon, ce militaire comme lui qui, au cours de son bref règne, s’est imposé comme un éminent stratège. Il en a gagné des victoires contre les rois de l’Europe : Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram…Il a bien sûr, été informé par ses supérieurs de la puissance que ce conquistador a développée au cours de ses quelques années d’imperator. Malgré tout, un sourire narquois étire ses lèvres, il y a eu aussi des défaites : Trafalgar, la Bérézina, et surtout la dernière, Waterloo…

Il ricane

« C’est évident, je suis l’homme de l’emploi, mais  beaucoup moins méfiant que vous le pensez. Cette fois-ci, vous ne risquez pas de jouer la fille de l’air. Vous ne reproduirez pas votre exploit de l’île d’Elbe. Vous ne pourrez plus nuire au repos du monde. »

Un peu pris de court, Napoléon reste coi. Il pense à ce que vient de lui rappeler Hudson Lowe. Un magnifique souvenir vraiment !

Quitter l’île italienne, débarquer en Provence, remonter vers Paris en suivant cette route qui depuis porte son nom, c’est inoubliable !  Redevenir pour Cent Jours Napoléon ier ! Il occulte la fin, cette terrible défaite, ce « Waterloo, morne plaine, comme une onde qui bout dans une urne trop pleine » comme l’écrira Victor Hugo plus tard. Et maintenant, se trouver là, et dans quel état ! Il faut qu’il se reprenne, son geôlier ne doit pas gagner. Plus calme, il s’adresse de nouveau à son vis-à-vis :

« Monsieur Antommarchi pense que des travaux de jardinage me seraient bénéfiques. Je pourrai aménager les alentours et créer un muret de gazon qui me permettrait de me promener sans être vu. Puis-je avoir votre accord ? »

Le gardien, un peu décontenancé par ce revirement ne trouve pas d’argument pour étayer un refus et répond d’un ton moqueur :

« Si vous pensez que votre santé précaire vous le permet,… faites, faites… Ce me sera un spectacle assez divertissant que de voir un empereur, enfin, ce qu’il en reste, s’adonner à un tel labeur. »

Il rit, mais qu’importe ce ricanement ? Bonaparte sait que cela va le distraire un moment. Il se rend bien compte de la situation. Aucune illusion quant à son avenir. Il n’a plus d’espoir, il ne reçoit plus de nouvelles de Joséphine, de son épouse et de son fils, l’Aiglon qu’il ne verra plus jamais. En outre, sa santé de plus en plus précaire, les douleurs qui le terrassent par moments ne lui laissent, hélas, pas beaucoup de temps.

D’un simple hochement de tête, il remercie le gouverneur anglais et le congédie ; pas de familiarité, juste de la condescendance ; le gardien tourne les talons et quitte la pièce, abandonnant l’illustre prisonnier à sa solitude.

L’avenir a montré que cette activité lui a été pour un temps salutaire, mais pour fort peu de temps. L’empereur s’est affaibli, la maladie et la tristesse l’ont épuisé.

Le sinistre Hudson Napoleon-depicted-at-LongwoodLowe est resté son garde chiourme jusqu’à la fin, le 5 mai 1821. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il lui a rendu un bref hommage. Celui-ci mérite d’être rapporté :

« Hé bien, Messieurs, c’était le plus grand ennemi de l’Angleterre et le mien aussi, mais je lui pardonne tout. A la mort d’un si grand homme, on ne doit éprouver qu’une grande douleur et de profonds regrets. »

Est-ce qu’il a su que les cendres de Napoléon ont été ramenées en France en 1840 en grande pompe ?

Combien de visiteurs sont venus depuis aux Invalides s’incliner devant sa dépouille ? Ont-ils pardonné les guerres et les morts ? Ont-ils oublié les années passées à Sainte-Hélène ? N’est-il pas devenu un des grands personnages de notre Histoire ?

 

 

 

 

 

29 janvier 2016

Une enfance au coeur de la guerre

Daniel Fainsilber -

 

542

C'est une petite ville de l'Oklaoma, aux Etats Unis, un quartier cossu et coquet, des pavillons colorés, des pelouses soignées. Une famille normale. Monsieur et madame Schmidt sont d'origine allemande, les grands parents étant arrivés au début du siècle et très bien intégrés.

Ils ont deux enfants Jacques et Robert, dix et douze ans. Depuis quelques temps le comportement de jacques à changé. Il se replie sur lui, devient agressif et hostile vis à vis de son frère et de ses proches. A l'école les professeurs confirment ce changement, à tel point que les parents demandent l'avis d'un psychanalyste de leurs amis.

Après quelques séances la psychanalyste convoque les parents et leur demande de chercher dans l'histoire de la famille s'il n'y a pas eu quelque chose susceptible d'inquiéter Jacques, quelque chose que l'on aurait caché à l'enfant et qu'il aurait soupçonné. C'est alors que le père manifeste une émotion intense, son visage se crispe, ses mains tremblent. Il explique alors que l'on avait caché à Jacques ses origines. Qu'il avait été adopté en Europe, que l'on ne savait pas la date exacte de sa naissance ni même son nom et encore moins ce qui était arrivé à sa famille. Monsieur Schmidt avait participé en France à la bataille de Normandie au combat en Hollande, jusqu'en Allemagne. Il avait été terrifié par toutes ces destructions et il avait participé à la libération de plusieurs camps de concentration. Il avait découvert un centre d'hébergement pour les enfants dont les parents avaient disparus. Au cours de cette visite, Monsieur Schmidt avait remarqué le regard émouvant d'un petit âgé de deux ans environ, brun et vif, captivant l'attention des visiteurs. Le responsable du foyer avait expliqué qu'il était l'enfant d'un couple de juifs polonais installés à Belleville, à Paris, et arrêtés par la police française en 42. La police, au moment de cette arrestation, avait proposé de confier cet enfant de quelques mois à la gardienne de l'immeuble,qui vraisemblablement avait dénoncés les parents en tant que juifs au commissariat.

Jusqu'en 1945, l'enfant avait connu plusieurs familles d'accueil avant d'arriver dans ce foyer. Personne ne l'avait jamais réclamé, la famille en Pologne ayant été sans doute, elle aussi exterminée.

L'appartement avait été vidé des meubles, des photos et des papiers. De nouveaux locataires s'y étaient installés.

Bouleversé par l'histoire de cet enfant, Monsieur Schmidt avait décidé de l'adopter. Il était arrivé avec lui aux Etats Unis, sa femme avait été immédiatement conquise par le regard de l'enfant, Robert, leur fils à l'époque âgé de cinq ANS avait été surpris par l'arrivée de ce nouveau petit frère mais l'avait vite adopté.

 

Les parents de Jacques ont donc décidé de lui parler davantage de son histoire et Il s'est adapté peu à peu à sa nouvelle identité et s'est trouvé apaisé.

 

Il avait reconnu avoir toujours eu la vague conscience de ne pas être de la famille ce dont il n'avait jamais osé parler. Il avait remarqué ses cheveux bruns et frisés alors que Robert et ses parents étaient d'une blondeur saxonne.

 

Toute la famille avait fait un voyage à Paris et visité son ancien quartier à Belleville, même si il savait ne pouvoir y retrouver trace de sa famille.

Il s'était beaucoup par la suite intéressé aux drames de la guerre.

Depuis aidé par l'affection de ses parents adoptifs, soulagé de pouvoir parler de son histoire, il a gardé cependant une certaine fragilité et un fond d'angoisse. Il a bien réussi dans ses études de psychologie et est devenu psychanalyste.

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
14 janvier 2016

Trois boutures de jasmin

Liliane Fainsilber - 

 

jasmin_dt

Souleyman était marocain. Il venait de la région de Ouarzazate. Ses parents y cultivaient un petit lopin de terre et possédaient quelques palmiers. Adolescent il rêvait d'une vie meilleure et envisageait de venir en France pour y travailler. Un jour, il prépara un très léger bagage et se mit en route vers le Nord. Sa jeune sœur, Leila, glissa dans son sac trois boutures du jasmin odorant qui poussait au pied de leur maison de briques en terre. Elles les avait bien empaquetées dans de la paille et dans un chiffon, mais elle recommanda à Souleyman de bien penser à les arroser tous les jours, malgré les régions désertiques qu'il devrait traverser. Il commença son long périple par un voyage en car qui l'emmena jusqu'au Nord du Maroc, au bord de la mer. De là il trouva une embarcation qui le transporta sur les côtes d'Espagne. Pendant tout ce temps, il avait réussi à arroser régulièrement ses trois boutures de jasmin, en s'arrêtant près des fontaines dans les petits villages traversés. Souleyman commença à voir apparaître au bas de leurs tiges quelques petites radicelles blanches.

 

En Andalousie, pour gagner sa vie, il ramassa des fraises puis des tomates. Il avait maintenant mis ces trois boutures de jasmin ensemble dans un pot de terre et un jour il vit qu'elles allaient fleurir. Pour qu'elles puissent pleinement se développer, il décida de les mettre en pleine terre au pied de la pauvre masure où il logeait avec tous les ouvriers agricoles qui travaillaient dans cette exploitation. Ce jasmin ne demandait qu'à prospérer. Il avait une grande soif de vivre.

Comme il n'était pas beaucoup payé, Souleyman resta plusieurs saisons en Espagne. Ainsi ces trois petites boutures devinrent si envahissantes qu'elles couvrirent toute une tonnelle. A son ombre, ces rudes travailleurs, fatigués, épuisés, pouvaient se reposer en pensant avec nostalgie à leur pays.

 

Souleyman se remit un jour en route, et cette fois-ci, c'est lui qui coupa à nouveau et prépara trois nouvelles petites boutures de son jasmin qui de marocain était devenu espagnol. Il traversa la frontière et arriva dans le Roussillon. Les paysages étaient splendides. Il se fit embaucher dans les vignes au moment des vendanges. Le climat était doux et ensoleillé.

C'est là qu'il resta, car il s'y trouvait heureux. Le village avait pour nom Alignan du vent. Il y rencontra une charmante jeune fille. Elle était aussi brune et aussi jolie que sa petite sœur Leila. Elle ne parlait pas arabe mais avait l'accent chantant du midi. Elle s'appelait Mireille. C'est elle qui prit soin de ses trois boutures car elle avait la main verte. Un magnifique buisson de jasmin blanc embaumait l'air lorsque la fenêtre de leur chambre était restée ouverte, les nuits d'été.

Bientôt un nouveau petit Souleyman dans son berceau découvrirait la puissance de son parfum. Il s'en souviendrait toute sa vie. Il saurait qu'il venait du lointain pays de ses ancêtres aux confins du désert. Son père serait là pour le lui raconter.

grande-f71c266e41c700244799ead808e2bc2d478599fb

 

 

 

 

12 janvier 2016

Tisane du soir

Jo Laudinet -

 

11784277-Tisane-avec-du-miel-et-de-sauge-sur-fond-blanc-Banque-d'images

Depuis quelques années nous faisons partie de la grande famille du cirque. Mon mari est dompteur de fauves, il excelle dans un numéro de dressage avec autorité et bienveillance envers les trois lions que nous avons élevés au biberon et apprivoisés avec beaucoup de patience. Il a réussi à gagner leur confiance à tel point qu’à certains moments de la représentation ils sont espiègles comme des gros chats, tout en gardant leur caractère de fauves. A la moindre défaillance du dompteur leur instinct peut revenir. Personnellement quand ils sont dans la cage j’ai toujours un moment d’inquiétude, mais chaque fois le spectacle se termine sous les applaudissements du public. Hier en rentrant dans la caravane j’ai trouvé une lettre adressée à mon mari, je l’ai ouverte et en la lisant ma colère a explosée. Je l’ai recollée pour ne pas éveiller ses soupçons. Mais ma colère de femme trompée s’est manifestée par un désir de vengeance meurtrière. J’ai compris que mon mari profité depuis quelques temps du jour de relâche pour rencontrer sa dulcinée. Je suis décidée à me battre, étant passionnée de botanique, je ramasse à l’occasion des plantes et des champignons que je fais sécher. Tous les soirs nous avons l’habitude après le repas de déguster un tilleul au miel de lavande, et c’est à la faveur de ce rituel que je vais ce soir lui concocter une mixture vengeresse avec des feuilles de valériane et de belladone agrémentées d’un soupçon de faux mousserons avec, comme à l’accoutumée, un geste tendre alors que, dans mon esprit, je veux me venger de cette trahison. Je sais que ce mélange va le rendre très malade et j’espère qu’après avoir lu la lettre il va réfléchir si toute fois la tisane qu’il vient de boire lui laisse le temps de penser aux conséquences de cette relation amoureuse. Heureusement que demain il n’y a pas de représentation, les lions sont très observateurs, quand le dompteur baisse la garde ils en profitent et peuvent devenir très agressifs et même très dangereux. J’espère que la prochaine représentation se déroulera sans grand incident et que nous oublierons dans quelques mois cette escapade.

10 janvier 2016

Une petite diablesse kleptomane

 

 Liliane Fainsilber - 

 

corps-roman

Il avait fait vœu de chasteté. Il avait été ordonné prêtre dans les années 80 et c'est à presque cinquante ans qu'il tomba amoureux fou de l'une de ses paroissiennes. Elle s'appelait Véronique. C'était une belle jeune femme qui semblait avoir plus d'une corde à son arc. Il l'aimait de toute son âme, la désirait et se serait presque décidé à l'inviter quant un événement inattendu l'en empêcha.

 

Un jour où ils participaient tous les deux à une fête de bienfaisance organisée par la paroisse, il l'entendit raconter à un petit groupe de ses amies comment elle avait volé dans une boutique de luxe ce magnifique pull de cachemire qu'elle portait ce jour là et qui mettait si biens ses formes en valeur. Elle leur avait même indiqué la façon de procéder. Il fallait tout d'abord choisir le lieu où exercer son forfait, choisir de préférence une boutique de luxe, puisque, quant à prendre des risques, autant bien choisir la qualité des produits, une fois entrée dans la boutique, il était souhaitable d'hésiter entre plusieurs modèles mais le point le plus important techniquement était de ne pas quitter des yeux la vendeuse tout en lui parlant sans arrêt, il fallait la tenir sous le charme. Pendant ce temps, elle se saisissait de l'objet convoité et le glissait dans son sac resté ouvert. Elle repartait vite, sans avoir rien acheté, en promettant de revenir.

Notre pauvre prêtre avait alors réalisé qu'il avait était tenté par le Diable, sous la forme de cette petite diablesse kleptomane. Il regretta cependant longtemps de ne pas avoir cédé à la tentation, peut-être justement à cause de ce pull en cachemire qui lui allait si bien !

 

 

9 janvier 2016

Tout feu, tout flamme

59201134Liliane Fainsilber -

Il l'aimait, la désirait et voulait l'inviter mais il n'osait pas, elle lui paraissait inaccessible. Au bureau, elle passait toujours en coup de vent. Il avait à peine le temps de l'apercevoir. Mais il entendait parler d'elle avec beaucoup d'admiration. Elle était l'une des adjointes du maire et témoignait de beaucoup de compétence dans toutes ses multiples activités. Elle semblait également très entourée, elle avait beaucoup d'amis, des hommes comme des femmes. Damien lui était un garçon timide et réservé. Il ne savait guère se mettre en valeur, ni se mettre en avant. Il avait fait de bonnes études de gestion et s'occupait des finances de la mairie. Mais à ses heures, il était aussi poète. Il faisait des vers et Valérie était la source de son inspiration, elle était sa muse.

Un jour dans la nouvelle mairie qui venait à peine d'être inaugurée un incendie se déclara. Peut-être était-il criminel. Il gagna vite les derniers étages et celui du bureau du maire et de ses adjoints.

 A cette heure de la journée, il y avait beaucoup de monde et un vent de panique se propagea avec autant de vitesse que l'incendie. A contre courant de tous ceux qui se dirigeait vers les sorties  Damien monta dans les étages en courant pour tenter de la retrouver et de lui porter secours, si nécessaire. Il se précipita donc dans son bureau, qui était déjà entouré de flammes. Elle avait perdu connaissance sous l'effet des gaz et de la fumée. Lui-même suffoquait.

Ils ne pouvaient plus s'enfuir par l'escalier, il était déjà trop tard. il s'approcha de la fenêtre et s'aperçut que les pompiers, arrivés sur les lieux, avaient déployé une très grande échelle. Il pris Valérie dans ses bras et enjambant la fenêtre, il descendit avec son précieux fardeau. Il l'accompagna jusqu'aux urgences dans l'ambulance. Elle ne semblait que légèrement brûlée. Il lui avait sauvé la vie, il lui avait donné une belle preuve de son amour mais il ne savait pas encore si elle en serait touchée.

Le lendemain il alla prendre de ses nouvelles à l'hôpital. Il avait acheté chez la fleuriste un modeste bouquet de jonquilles. Il pensait que ce serait peut-être le moment de lui déclarer sa flamme mais quand il pénétra dans sa chambre, un volumineux bouquet de lilas occupait tout l'espace disponible, et un de ses collègues tenait affectueusement la main de Valérie.

 

Déçu, il s'esquiva rapidement. Il pensait avoir perdu tout espoir de conquérir sa belle, mais ce qu'il ne savait pas encore c'est que toutes les histoires d'amour comportent beaucoup de péripéties. Quelques jours après, Valérie lui téléphonait pour l'inviter à partir avec une bande de copains faire un voyage en bateau le long des côtes turques.

Par cette invitation, elle lui faisait signe, un signe d'encouragement.

Au soleil et dans ces magnifiques paysages, il aurait tout le temps de tenter sa chance et faire en sorte qu'elle réponde à son amour.

7 janvier 2016

La statue africaine

statue-cultuelle-luba-rdc-zaire-statue-africainesMarie-Claude Miollan -

Je mesure un mètre de haut. Je suis faite en bois massif de couleur sombre. Debout, bien stable sur mes deux jambes, je porte quelque chose qui ressemble à une petite jupe plissée ceinturée à la taille. Mais peut être est ce une jupe traditionnelle en fibres de coco. Mes seins nus pendent légèrement sur mon ventre pointu. Des bracelets ornent le haut de mes bras, tandis que je porte dans mes mains deux objets ou deux êtres que même aujourd’hui je ne saurais définir. De forme allongée, comme un corps avec une tête qui se dessine à son extrémité. J’ai un long cou surmonté d’une tête aux traits marqués par un nez et des sourcils saillants, une bouche aux lèvres charnues, un regard qui fixe un point juste devant moi. Je possède aussi deux oreilles très allongées et sur la tête des tresses qui se terminent par une courte queue. Sous mon menton j’ai un appendice qui ressemble à une langue qui d’ailleurs ne me plait pas. Alors, qui suis-je ?

 

Je suis une statue africaine, crée au Congo par un sculpteur africain bien sûr. Un colon français amateur d’art, passant dans un village non loin de Brazzaville s’arrêta dans son atelier, il m’aperçut et m’acheta. Je vécu chez lui un moment, puis il rentra en France et m’emmena. Je trouvais une place dans une maison où à coté des sculptures africaines on trouvait des meubles bretons et des peintures et sculptures réalisées par le colon lui-même. Mais tout à une fin, je fus finalement donnée en héritage à une fille de la maison qui prit soin de moi.

Elle me huila, me cira, m’épousseta et me trouva elle aussi une place tout à coté d’une défense d’éléphant venant elle de l’Oubangui Chari. J’y suis encore. Nous nous entendons fort bien toutes deux. Nous évoquons parfois nos souvenirs africains, mais le quotidien est quelques fois plein de surprises. En voici un exemple : La famille où je vis recevant ses petits enfants de trois et six ans, craignant sans doute qu’ils ne me bousculent en jouant me cachât dans un placard. Il y faisait un peu sombre certes mais j’étais tranquille. J’entendais leurs éclats de rire, leurs cris, leurs chamailleries dans le lointain. Un jour, alors qu’ils jouaient sans doute à cache-cache, l’enfant de trois ans, qui s’appelle, je le sais maintenant, Honoré, en cherchant sa sœur Ambre ouvrit la porte du placard et me vit.

Que crut-il voir, un monstre, un fantôme ? Quoi qu’il en soit il refermât vivement la porte et couru voir sa sœur.

Quelques instants après on vint me sortir de ma cachette. Je fus remise à ma place habituelle. On me regarda, on m’admira, on m’ausculta même et on raconta en détails mon histoire aux enfants.

Depuis, chaque fois qu’ils viennent en vacances ils ne manquent pas de venir me présenter leurs hommages en me caressant doucement la tète en faisant attention à ne pas me bousculer par crainte de me faire tomber. Mais se pose toujours la question de savoir ce que je porte au bout de mes bras. Je ne peux leur répondre, bien sûr, je l’ignore moi-même.

 

Publicité
Publicité
1 2 > >>
Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité