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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
4 janvier 2016

Une lettre de Madame Cézanne

 Liliane Fainsilber -

1872 Hortense Breast Feeding Paul oil on canvas Private Collection

Un maçon, entreprenant des travaux dans une vieille maison d'Aix en Provence, a récemment trouvé dans un secrétaire abandonné là, une lettre de Madame Cézanne à Monsieur Herbert Coleman, un critique d'art qui avait une certaine notoriété à la fin du dix-neuvième siècle. Elle permet d'interpréter sous un jour nouveau ce tableau assez peu connu de Paul Cézanne dont le nom est plutôt descriptif «Hortense allaitant Paul » daté de 1872.

« Cher Monsieur,

vous me demandez ce que je sais de ce tableau et dans quelles circonstances il a été peint par mon mari. Je sais bien que les gens de la bonne société aixoise auraient eu certes l'occasion sinon d'être choqués au moins de s'étonner devant ce portrait en constatant l'absence totale de réserve ou de pudeur de cette femme dénudée entrain de dormir d'un sommeil paisible, tenant son enfant dans ses bras et lui donnant le sein. C'est une scène d'une très grande intimité entre le peintre et son modèle. De fait, ce tableau n'est pas très connu car Cézanne le cachait soigneusement tout aussi soigneusement que l'existence de son fils prénommé Paul comme lui.

Cette femme endormie, c'est moi, Hortense Piquet, je ne suis devenue en effet que bien tardivement, Madame Cézanne, quatorze ans après la naissance de notre fils. Quand j'ai rencontré Cézanne, j'avais onze ans de moins que lui et je lui servais de modèle tout comme à d'autres peintres. Comme je pouvais rester immobile de très longues heures, il existe de moi de très nombreux portraits. Je ne sais pas s'il y a eu beaucoup d'amour entre nous, Cézanne n'avait peut-être qu'une seule passion au monde la peinture, et j'ai eu une bien rude concurrente, une redoutable rivale, son seul et grand modèle étant la Sainte Victoire. Vous remarquerez d'ailleurs que c'est à elle qu'il a réservé les plus beaux verts et les plus beaux bleus de sa palette.

 

Je suis cependant heureuse que ce tableau existe. Il aurait pu s'appeler « Maternité ». Pour notre fils Paul Cézanne, il est en quelque sorte un signe de reconnaissance. Ce tableau l'inscrit dans la lignée des Cézanne, de père en fils. Il me donne aussi une petite place dans cette lignée, je suis celle qui l'a mis au monde ! Je suis de fait la mère de Paul Cézanne. J'aime beaucoup le bandeau que j'ai dans les cheveux. Il me couronne en quelque sorte.

Voici modestement tout ce que je peux vous dire de ce tableau. Soyez assuré, cher monsieur, de toute ma sympathie. Hortense Cézanne.

 

 

 

 

 

 

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3 janvier 2016

Le pommier doux

Liliane Fainsilber -

 

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Alors qu'il contemplait comme tous les matins, avec grand plaisir le paysage qu'il avait devant les yeux, il vit que la maison rose de l'autre côté de la rue était à nouveau habitée, toutes ses fenêtres étaient grande ouvertes, de la musique s'en échappait. Elle avait été longtemps abandonnée depuis la mort de Clémence, l'ancienne propriétaire, et Germain se demanda qui avait bien pu venir ainsi lui redonner vie.

 Quelques heures après dans la matinée, il vit passer le long du chemin une jeune femme, elle avait longé les bords de l'étang. Elle semblait légère et gaie dans ses pensées. Un moment elle avait disparu derrière un bosquet de bouleaux puis il l'avait vu réapparaître aux confins d'un champ de blé qui, en cette saison d'automne, était à nouveau d'un beau vert vif. Elle portait une robe de laine rouge qui se détachait dans le paysage, ce qui lui permettait de continuer à l'apercevoir. Où allait-elle ainsi et qui était-elle ?

 Soudain il repensa au temps lointain où jeune garçon, il avait attendu à la lisière de ces champs, une belle jeune fille qui était au collège avec lui. Elle s'appelait Aline. Il l'avait attendu au pied d'un vieux pommier. C'était là qu'ils s'étaient donné rendez-vous. Il ressentait devant sa présence une sorte d'émerveillement. Mais il était encore bien timide et inexpérimenté.Comme premier geste d'amour, il ne put que cueillir une pomme sur l'arbre et la lui offrir. Elle avait mordu à belles dents dans ce fruit. Mais ils n'allèrent pas plus loin.La vie les sépara bientôt. Elle quitta le village pour la ville. Pour quelle raison était-elle soudain revenue au pays de son enfance. Peut-être avait-elle hérité de la maison de son grand-père.

 Toute la matinée, tandis qu'il vaquait à ses occupations dans la ferme et qu'il nourrissait ses bêtes, Germain guetta son retour. Elle revint sur le coup de midi et portait un volumineux bouquet de fleurs des champs avec parmi elles, des marguerites. Il espérait beaucoup pouvoir à nouveau lui parler et surtout retrouver l'ancienne connivence.

Après tellement de temps, pourraient-ils enfin un jour croquer la pomme comme au temps de cette rencontre manquée de leur jeunesse. Il ne savait pas encore ce qu'elle en penserait mais il gardait espoir de pouvoir la séduire à nouveau.

D'un pas résolu, Germain alla taper à la porte de la maison rose. Aline vint lui ouvrir et sans une seconde d'hésitation, ils se reconnurent.

Une chanson de son enfance lui vint à l'esprit «  derrière chez mon père, il y a un pommier doux, vole mon cœur vole, il y a un pommier doux, trois filles de prince sont couchées dessous. » De ces trois filles, Germain avait incontestablement choisi la plus belle, c'était la princesse Aline.

 

 

2 janvier 2016

Festival d'Avignon

 

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Elle avait six ans, peut être sept, des cheveux blonds et longs, une robe bleue.

Place de La Mirande, derrière le Palais des Papes, à coté du Théâtre du Rouge Gorge elle était assise sur un bloc de calcaire blanc délimitant un emplacement en demi-cercle.

Tout autour, du monde, beaucoup de monde, debout.

Au centre de cette scène, un guitariste espagnol sur un tapis aux motifs rouges, assis sur sa sono, jouait des airs de sa composition que les murs très proches du Palais des Papes renvoyaient en écho.

Une petite place à coté d’elle étant libre, je m’y glissais. Elle me jeta un regard ni surpris ni intéressé, et se concentra à nouveau sur le musicien.

La voyant ainsi seule sur ce banc, j’imaginais ses parents debout, non loin d’elle, la surveillant.

De longues minutes s’écoulèrent, vingt minutes, une demi-heure peut être. Le guitariste joua, je me souviens, trois longs morceaux. Nous écoutions l’une à coté de l’autre ces airs étranges et envoutants. Immobile, concentrée sur la musique, elle semblait regarder les doigts du musicien jonglant sur sa guitare. Soudain derrière nous un brouhaha puis un cri affolé « Marie ». C’était sa mère. Elle se saisit d’elle vivement, la serra rapidement dans ses bras puis la tendit à son père.

« On l’avait oubliée »  me dit-elle aux bords des larmes. J’ai alors murmuré à la mère : «  Je la gardais. Elle ne s’est rendue compte de rien ».  Elle me remercia brièvement, et très vite ils s’éloignèrent, leur fille dans les bras. Mais au regard que celle-ci m’adressa en partant, je compris qu’elle eut aimée profiter plus longtemps de cette pause musicale.

 

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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