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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
5 février 2019

Maya Guacamole

Martine Bouvot 

everest

A l'automne 2005, je réalise un rêve vieux d'une quarantaine d'années : aller au Népal!

 Dans les années précédant 68, le mouvement hippy, nous faisait rêver, nous, jeunes provinciales, encore coincées dans les principes, à une forme de liberté que nous n'avions jamais envisagée.

 En pension, imposée par les parents et sous la férule d'une autre autorité, nous n'avions d'autre choix que de rêver à ouvrir les grilles de ce que nous pensions être une prison.

 Et cet automne 2005, je me suis rapprochée de mon vieux rêve en même temps que du toit du monde et j'ai alors compris qu'un rêve ne peut être qu’utopie quand je me suis souvenue de Maya Guacamole, une amie de classe qui l'avait suivi.

 En feuilletant mon carnet de voyage, me reviennent les chemins bordés de cannabis, les rues de Katmandou et ses dédales aux immeubles délabrés, témoins de cette époque.

 Tout au long de mon voyage et de mes découvertes, j'ai donc imaginé ce qu'avait été la vie de Maya, élève comme moi de l'Ecole Hôtelière, tellement rebelle à l'égard des autorités et institutions et qui elle, était partie, à 20 ans pour vivre le grand voyage.

 

Je l'ai imaginée jusqu'au jour où elle m'a conté son aventure, bien des années plus tard....

 Elle me dit : Si j'avais su que cette belle aventure n'était qu’utopie ! Si j'avais su...mais il fallait sans doute que je la vive !

 J'étais à cette époque, tombée éperdument amoureuse d'un garçon parce que justement il m'emmenait sur des chemins de traverse, hors de toute autorité, disait-il, hors des contraintes, puisque là-bas, nous n'aurions plus besoin de rien, disait-il toujours. Le rêve était là, à portée de mains...

 

A notre arrivée au Népal, nous avons rejoint une communauté où la liberté semblait régler la vie quotidienne. Très vite, on m'initia au calumet de la paix : le cannabis dont les plans couvraient les campagnes environnantes.

 De ce fait , à Katmandou, la vie m'est très vite apparue facile, bien qu' assez rapidement aussi, je me sois interrogée sur le but de ma démarche : qu'étais-je venue chercher, là, et qu'allais-je y trouver vraiment? On m'aidait rapidement à chasser ces idées « bourgeoises » issues sans doute de mon éducation chez les Dupont.

 La vie s'écoulait, sans but, sans projets malgré de longues discussions stériles surtout quand nous avions trop fumé de cannabis...

 Un matin, la police a fait une rafle dans tous les squats Hippies, que nous occupions dans le centre historique de Katmandou.

 Nous nous retrouvâmes des dizaines au poste puis sans plus de procédure, en prison.

 Là, j'ai pris conscience de ce qu'était la liberté, ce mot si galvaudé.

 Et je me suis retrouvée, en geôle, avec tout ce que cela représente de répressions, interdictions, et corruptions. La drogue circulait toujours moyennant bakchich ! Les conditions de survie étaient effroyables, pas d'hygiène et nous partagions nos cellules avec les rats, cafards et autres vermines qui pullulaient.

 Nous sentions nos vies filer hors de nos corps amaigris.

 Ha ! Si je n'avais pas suivi cet homme !

 Cet enfer dura des mois qui me mirent dans l'état proche de la folie et me faisait regretter l' Ecole Hôtelière et la sévérité de mon éducation que j'avais quittées pour être « libre »

 Un matin, le directeur du pénitencier vint nous faire l'annonce, sans autre forme de procès : Hauts-parleurs :

 Le roi du Népal a décidé que pour les condamnés étrangers de droit commun, la peine de mort ne sera pas appliquée si l'enfant que la famille royale attend est un mâle et pourra être l'héritier.

 Restent qqs semaines de compromission avec nos geôliers corrompus , qqs semaines à nous contenter des déchets qu'ils nous jettent à travers les barreaux, ce qui provoque des bagarres entre co-détenus, qqs semaines à subir, hommes et femmes les assauts incessants et les humiliations plus dégradantes encore.

 Nous qui rêvions de liberté, étions réduits à l'état d'esclaves, de non-êtres comme l'ont été les déportés lors de la dernière guerre, réduits à voler le croûton de pain du voisin, moribond, ce que certains se reprocheront tout au long de leur vie. Et ce sont ces moments qui te font comprendre que l'instinct de survie peut passer parfois au-dessus de toute pensée philosophique.

 Je m'appelle Maya Guacamole, née au Guatemala, adoptée par les Dupont de France et je suis là, à Katmandou, à attendre l'accouchement d'une femme comme moi, mais à la différence qu'elle est « la Reine »

 bon dieu, pourvu que ce soit un mâle !!!!

 Et c'est un mâle ! Gagné !!!

 J'ai sauvé ma vie et je suis retournée à celle que mes parents « Dupont » avaient envisagée pour mon avenir : j'ai fait une belle carrière au Ritz à Paris ! Je les ai rendu fiers et heureux, ceux qui m'avaient tant donné.

 Erreur de trajectoire ?

 Depuis, j'ai revu mes amies de l'Ecole Hôtelière et je vois que nous avons toutes vécu « notre aventure », hors des chemins de Katmandou mais aussi forte !

 Oui ! J'ai pensé à toi, Maya, sur les chemins du Népal, ceux que nous avons suivis ensemble mais à 40 ans de distance, avec toujours la même idée de liberté de pensée, d'humilité devant la nature si magnifique, les larmes aux yeux en contemplant l'Everest, le toit du monde !

 Tout ce que j'ai écrit est tiré de vécu, d'amis, de parents...en fait l’écriture, ce n'est que cela !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 février 2019

Souvenirs de Pierrot

 

acrylique et collage 008

Bon, j'ai encore cette commode à vider et comme ça les gosses pourront mettre les meubles sur ce qu'ils appellent « le Bon Coin » !

Avant on donnait, maintenant on vend même les choses sans valeur, même les souvenirs.

 C'est le progrès qu'ils disent et c'est vrai qu'à 90 ans, je ne suis plus dans le coup et à la maison de retraite où ils ont décidé de me placer, pour mon bien disent-ils toujours, je n'aurai plus besoin de tout ce fatras accumulé depuis 3 générations.

 Tiens, qu'est-ce que c'est donc cette grande enveloppe dont je ne me rappelais plus qu'elle était là ?

 HA ! Des photos !

 

La ferme familiale à Saint Chély d'Aubrac. Là je reconnais pépé et mémé pour l'estive et tout le village qui suit, les troupeaux enrubannés et fleuris et gambadant nerveusement , vers les prés, après un hiver à l'étable. Quelle belle fête et quelle gaieté je me souviens.

 Et là c'est le Paul et la Marie, de braves gens si généreux pendant la guerre.

 Et celle-là ? Mais oui, c'est le père, Gaby, posant fièrement devant son buron où il passait tout l'été avec ses bêtes.

 HO là là et celle-ci ? Je me souviens bien du jour où elle a été prise car je portais le belle chemise à carreaux bleus que ma mère, la Jeannette, avait cousu pour moi pour « monter » à Paris au Salon de l'Agriculture. C'était en....enfin j'avais dans les 25 ans, juste après la guerre et pas peu fier d'aller présenter Néron et Cléopâtre au concours.

 Qu'il était beau mon Néron que j'avais élevé depuis sa naissance, beau mais pas toujours commode avec ses 1500 kgs.

 Et ma belle Cléopâtre, aux cornes en forme de lyre et aux yeux comme maquillés de Khôl, pareils à ceux des égyptiens que l'on voyait en images dans nos livres d'école.

 C'est elle qui a gagné le concours et je me souviens, tout le village avait fêté notre retour.

 Oui, en regardant cette photo, je pense, sans prétention que je devais peut-être faire tourner la tête des filles et si je dis cela aujourd'hui c'est que c'est à Paris, au Salon de l'Agriculture, avec ma belle chemise à carreaux que j'ai plu à Justine qui elle, présentait une belle Salers, et qui est devenue ma femme et la mère de mes enfants.

 A ce concours j'avais donc tout gagné !

 Ma Justine est partie mais cette photo, je vais la mettre dans ma chambre à la maison de retraite et chaque soir je m'endormirai en espérant la rejoindre bientôt, au Grand Salon des Amours Eternels.

 Quand je suis arrivé à la maison de retraite « l'Eau vive »...tu parles d'un nom ! Firmin m'attendait sur le seuil avec son déambulateur, un large sourire sous sa moustache -il a toujours voulu garder sa moustache , ça lui donnait l'air plus viril qu'il disait, plus jeune.

 F Bienvenue mon Pierrot, tu vois ici on se retrouve un peu comme à l'école communale, on nous fait faire des activités mais attention, il faut respecter le règlement !

 P Les gosses m'avaient dit que tu étais là et c'est pour ça que j'ai accepté parce que ça devenait dur pour moi en hiver, depuis que Justine est partie et tu sais, les gosses, ils ont leur vie !

 F Je te laisse t'installer et si tu veux un coup de mains, sinon on se retrouve avant le dîner vers 18h et on pourra causer un peu.

 J'ai donc gagné la chambre qui sera la dernière de ma vie. Pas marrant !

Je défais ma valise où j'ai rangé qqs vêtements et qqs objets, enfin pour me faire un petit « chez moi » et bien sûr l'enveloppe que j'avais trouvée dans la commode, juste avant de quitter la maison et que les gosses vendent tout. C'est pas leur vie !

Alors là, mon Firmin, il va être heureux quand je vais lui montrer les photos de notre jeunesse envolée.

J'éparpille mon trésor sur mon petit lit et tiens ! Qu'est-ce que c'est que cette lettre pliée en tout petit et que je n'avais pas vue l'autre jour ?

 Je tire mes lunettes de leur étui, je déplie la lettre et je retrouve tout de suite l'écriture de ma Justine. Mes lunettes s'embuent et m'empêchent de bien lire. Cette lettre s'adresse à Firmin :

 Justine

Mon très cher ami pour toujours

Je suis très peinée de t'écrire que notre belle histoire est finie. Je me suis rendue compte, au Salon à Paris, que j'étais tombée amoureuse de Pierrot et aussi de te dire que s'il me demande en mariage je dirai « oui ». Notre histoire fût belle mais la vie m'appelle auprès de Pierrot et je ne veux pas te mentir. Je te demande pardon et tu resteras toujours pour moi un ami très cher. Justine.

 P Je suis sonné ! Comment n'ai-je jamais rien su ? Mon ami, mon frère avait aimé ma femme et je ne lui ai jamais demandé au fond pourquoi il ne s'était jamais marié, beau et fort comme il était avec sa moustache ! J'en blaguais avec lui !

 Pourquoi ne m'ont-ils jamais rien dit. J'aurais compris...enfin je pense, enfin je pense aujourd'hui...Et moi qui voulais montrer ma chambre et la photo de Justine sur ma table de nuit...Et je pleure, la tête entre mes vieilles mains, pas celles que Justine a connues, grandes et fortes et douces aussi.

 On frappe :

 F alors mon vieux, tu viens ?

 P J'arrive !

 Je dois descendre pour aller au réfectoire, rejoindre mes nouveaux compagnons de « L'Eau Vive » et surtout Firmin...

 Je le retrouve dans le hall avec son déambulateur....ils en ont tous quand ils ne sont pas en fauteuil roulant !

 F Alors, quand même, il faut que je te fasse une surprise pour ton arrivée ici.

 P Je le regarde et il me semble découvrir un homme que je n'ai pas vraiment connu, le choc de la lettre sans doute et ce changement de vie, tout cela me perturbe.

 F Je vais te présenter une dame que tu reconnaîtras sans doute et qui vit ici. Elle a maintenant 95 ans.

 P J'arrive, très ému...ça commence à faire beaucoup...et je me retrouve devant une petite dame à qui Firmin parle à l'oreille. Et là, le regard bleu me transperce : Paulette ! La si belle Paulette qui faisait vibrer tous les cœurs des jeunes garçons que nous étions jusqu'au Certificat d'Etudes !

 Paulette : bienvenue mon Pierrot ! Je ne vois plus beaucoup mais je pense que tu es toujours aussi beau gars ! Nous allons pouvoir évoquer notre jeunesse, tous les 3 réunis.

 P A partir de ce jour, on nous appela « les inséparables »....la boucle éait bouclée... enfin pas tout à fait.

 A la fin du dîner, au moment de se séparer, Paulette me glissa à l'oreille :

 - Il faudrait que je te dise qqchose pendant que nous avons encore un peu de temps.

 P Ma nuit avait été agitée et j'avais eu du mal à détacher mon regard de la photo de ma Justine. Une question me taraudait : pourquoi ces 2 là n'avaient rien voulu me dire...pourquoi ?

 Mais bientôt mon esprit repartit sur les chemins de ma jeunesse. Je les avais retrouvés, ici, à 90 ans, avec Firmin et Paulette et m'est revenue cette chanson :

 Quand on partait de bon matin

Quand on partait sur les chemins

A bicyclette

...

 

Y'avait Fernand, y'avait Firmin

...

 

Et puis Paulette

..

Sur les petits chemins de terre,

On a souvent vécu l'enfer

Pour ne pas mettre pied à terre

Devant Paulette

.

 On se disait, c'est pour demain

J'oserai, j'oserai demain

 

Et je finis par m'endormir.

 Paulette avait toujours eu la même douceur et aussi la même volonté puisqu'elle avait été l'institutrice de St Chély de 1939 jusqu'à sa retraite.

La fille du facteur, en plus d'être belle, était instruite, plus que la plupart d'entre nous qui sommes devenus paysans comme nos parents et pour reprendre la ferme.

 A cette époque, il fallait avoir le Brevet Elémentaire pour passer le concours d'entrée à l'Ecole Normale et beaucoup d'enfants, avant guerre n'arrivaient qu'au Certificat d'Etudes Primaires qui sonnait la fin de la scolarité. Presque seuls les enfants du pharmacien, du docteur ou de l'instituteur pouvaient aller au-delà !

 Mais Paulette, la fille du facteur, avait un caractère bien forgé et avait brillamment réussi le concours d'entrée à l'Ecole Normale.

 C'était juste avant la guerre et quand celle-ci fût déclarée, elle pris son 1er poste à St Chély en remplacement de Monsieur Dubois, mobilisé.

 Elle avait tout juste 20 ans et à cette époque, la plupart des écoles de campagne ne comportait qu'une seule classe pour les sections du cours préparatoire au CM2. 53 élèves de 6 à 14 ans, réunis dans la même classe, apportant leur bûche le matin en hiver et le casse-croûte à midi pour ceux qui faisaient 4 km à pieds pour venir à l'école, depuis les hameaux...pas de cantine bien sûr !

 Enfin, pourquoi je vous raconte tout ça ? C'est Paulette que je retrouve qui me ramène à mon enfance et ma jeunesse.

 Firmin et moi, étions trop jeunes pour être mobilisés mais on se sentait très patriotes et on voulait surtout pas que les « boches » nous prennent nos fermes et nos troupeaux.

 Alors on a rejoint le maquis en 1940 quand on a entendu, dans le poste, que le Maréchal avait signé l'armistice. Cette histoire, vous la connaissez tous !

 Le lendemain matin, Firmin n'était pas là, mal dormi nous-dit-on.

Et je me retrouvai donc avec Paulette à qui je prends le bras pour la conduire au petit salon. J'avais toujours sur moi la photo et la lettre

et je pense qu'elle avait dû sentir au ton de ma voix que j'étais inquiet : les personnes qui ne voient plus deviennent très attentifs aux sons.

 

P Paulette, je voudrais te parler de quelque chose que je viens de découvrir et je ne comprends pas pourquoi c'est maintenant que je l'apprends, à la fin de ma vie .

 

Paulette : Pas besoin mon Pierrot de me monter la photo de Justine, je n'y vois plus mais je me souviens de cette jolie brune aux yeux noirs dont les parents avaient un élevage de magnifiques Salers.

 Si tu veux bien, je vais un peu remonter dans le temps pour te raconter l'histoire de cette lettre que je pourrais te réciter par cœur et je vais te dire pourquoi. Cette lettre me bouleverse aujourd'hui autant que toi car j'ignorais qu'elle l'avait conservée.

 Je vais te raconter car c'est une belle histoire.

 Pendant cette sale guerre, j'étais responsable du réseau « Aubrac » auquel vous apparteniez toi, Firmin, Sébastien et Justine et d'autres dont j'ai oublié les noms. La prudence voulait que la milice ne puisse pas faire de recoupement si l'un d'entre nous tombait entre leurs pattes. Tu les sais bien !

 Justine portait les messages cachés dans la sacoche de son vélo mais un jour, elle fût arrêtée et soupçonnée d'appartenir à un réseau de résistance. C'est Firmin qui prit des risques insensés, au péril de sa vie, pour sortir Justine des griffes de la police, française pourtant.

A partir de ce jour, ils devinrent très proches et sans doute amoureux mais, Firmin, craignant trahir votre complicité, s'est tu.

 Quand vous vous êtes retrouvés à Paris au Salon de l'Agriculture, la guerre était finie et les français commençaient à revivre.

 Mais à son retour à St Chély, Justine est venue me trouver, complètement chamboulée par ce qu'elle venait de découvrir : elle était amoureuse de toi et en fille droite et sincère elle, elle pensait ne rien te dire et peut-être faire sa vie avec Firmin pour lequel elle avait de la reconnaissance et une grande affection.

 P – j'écoute, j'essaie de me souvenir, de retrouver un détail qui aurait pu m'avertir mais rien ne me revient à part le souvenir de qqs jours de fête à Paris.

 Paulette – C'est moi qui l'en ai dissuadée lui disant que si l'amour était venu à elle sans qu'elle le cherche, elle devait l'accueillir comme un beau cadeau.

 

P – Mais la lettre ? Car je savais que Justine n'avait jamais été forte en dictée...

 

Paulette – c'est moi qui l'ai écrite et elle l'a recopiée avec application.

Le secret leur pesait à tous les 2 et c'est sans doute pour ça qu'elle a voulu que tu saches maintenant qu'elle est partie.

 Et puis, à l'heure du goûter, j'ai vu arriver Firmin, mon vieil ami. A son allure un peu gauche, je devine maintenant qu'il sait que je sais.

 Nous nous tenons embrassés, les yeux humides mais plus unis que jamais.

 Demain, nous parlerons de Justine, de Néron, du beau Jules et nous repartirons tous les 3 sur les chemins de notre jeunesse...en déambulateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

acrylique et collage 008

5 février 2019

A l'hôtel du Lac

 

 Liliane Fainsilber 

2006-06-06 00

Ils étaient arrivés la veille dans ce grand hôtel. Situé au bord du lac de Castillon. il datait des années 1930 et avait été très bien restauré et modernisé par les actuels propriétaires du lieu. Le gérant, Camille Legrand, était un ancien banquier de Lausanne qui au bout d'un certain nombre d'années passées à conseiller ses clients sur la meilleure façon de placer leur argent en avait eu plus qu'assez et avait décidé de changer radicalement de vie. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à vivre et à travailler dans ce petit village de Saint André des Alpes. Tous les soirs, il recevait ses clients et les répartissait dans les chambres selon le prix qu'ils pouvaient y mettre. Certaines chambres très confortables et luxueusement meublées étaient à un tarif élevé, d'autres en attente de restauration et notamment dans l'annexe étaient au contraire très bon marché. De ce fait, la clientèle de cet hôtel était extrêmement variée, touristes huppés, c'était le cas de Rémi et de Catherine, y côtoyaient au petit déjeuner du matin, des randonneurs déjà tout équipés pour leurs longues marches, quelques représentants de commerce qui peu soucieux de leurs voisins prenaient déjà leurs rendez-vous de la matinée sur leur smartphone, et aussi il faut bien le dire quelques marginaux au statut social incertain déparaient un peu dans ce décor à la fois douillet mais aussi désuet. Parmi tous ces clients, Catherine avait eu le regard attiré par un beau ténébreux aux yeux de braise. Il devait avoir une trentaine d'année, il était mince et tout habillé de noir, elle lui trouvait noble allure. Que venait-il faire dans cette région et dans cet hôtel ? Elle aurait bien aimé le savoir mais se contentait de l'observer tandis qu'il buvait son café et dégustait ses croissants de bon appétit. Elle regrettait bien de ne plus avoir vingt ans pour pouvoir au moins essayer d'attirer son attention. Au bout d'un moment, il passa devant elle et se dirigea, sans la voir, hélas, vers la terrasse puis vers le parc. Il portait avec ses bagages, un violon dans son étui. Elle pensa donc qu'il devait être musicien. Dans le hall de l'hôtel, la veille, elle avait vu une grande affiche annonçant la venue d'un orchestre tsigane, peut-être faisait-il partie de cet ensemble.

A côté de leur table, tout un groupe de jeunes hommes avec quelques jeunes femmes discutaient avec animation. Leur journée serait bien occupée : En face de l'hôtel, partant d' un éperon rocheux assez élevé, des ailes volantes prenaient sans cesse leur envol et après de longues arabesques dans le ciel se posaient en douceur dans un vaste champ. Cet hôtel leur servait à tous de camp de base.

Catherine et Rémi avaient fini de déjeuner et profitaient de l'atmosphère agréable de la salle du restaurant si bien décorée lorsqu'ils virent arriver, entourée de quelques amis, J. G.. Catherine la trouva, en réalité, aussi charmante et simple que dans ses films. Elle portait un jean et un pull de cachemire d'une délicate couleur rose. Par discrétion, ils firent semblant de ne pas la reconnaître tout en se demandant comment cette si jolie femme pouvait avoir choisi de vivre avec un homme aussi dénué de charme que F. H. Sans doute avait-elle cédé au prestige de la fonction. Allait-elle le rejoindre à Castellane où il présentait peut-être son livre dans la librairie de la petite ville ? On pouvait toujours l'imaginer.

Ils s'étonnèrent quand même un peu de la variété des rencontres que qui se produisait dans ce petit hôtel de province aux allures si modestes. Il ne manquait plus que l'apparition éventuelle d'un grand magnat de la pègre marseillaise, assisté de tous ses acolytes. Ils seraient tous lourdement armés et démarreraient en trombe dans leur voiture de luxe. Mais au fond d'elle-même, Catherine, malgré sa soif d'aventures, ne souhaitait pas tellement vivre cette expérience.

Après avoir un peu profité des vastes fauteuils du salon d'apparat, ils poursuivirent leur voyage vers les gorges du Verdon et admirèrent les magnifiques paysages qui s'offraient à eux en ce début d'automne. S'arrêtant dans le petit village de Trigance surmonté de son château, ils dégustèrent sur la place du village une délicieuse daube cuisinée par la bistrotière et notèrent même la recette qu'elle leur avait confiée. En fin de soirée, ils se retrouvèrent chez eux, tout contents de cette petite expédition si dépaysante et pourtant juste à quelques kilomètres de leur maison.

 

Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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