Par Zabeth STEPAN
Si je commence par : « Il était une fois en Bretagne… » est-ce que vous supposez que mon histoire sera un conte ?
Donc, il était une fois un drôle de pêcheur qui s’appelait Loïc Le Berre.Ce brave homme vivait en solitaire ; les îliens qui le côtoyaient à
Molène, le trouvant vraiment pas sociable, le considéraient comme un sauvage. Certes, il n’était guère avenant, le visage buriné mangé par une barbe épaisse, les yeux clairs, délavés, abrités sous la visière d’une casquette, casquette fatiguée qui en avait vu d’autres. Il ne montrait pas trop d’intérêt pour ses toilettes, toujours attifé des mêmes vêtements sombres. Il demandait seulement qu’on le laisse tranquille, vivre par choix et par goût tel un ermite, dans sa masure battue par les vents, minuscule construction solitaire au toit d’ardoise grise, au bout de la Chaussée des Pierres Vertes, non loin du sémaphore.
Il était réellement seul, ses parents décédés depuis longtemps et, célibataire endurci, il n’avait jamais eu l’envie, ni l’occasion d’unir sa destinée à celle d’une compagne. Sa vie aurait-elle été différente ? Sûrement, mais l’âge venant, tout cela n’avait plus pour lui aucune importance.
Sur la petite île séparée de la côte du Finistère, comme sur sa voisine Ouessant, la vie était rude, les tempêtes sévères, les vagues déferlantes, les ressources précaires, les distractions inexistantes. Et chacun de répéter à l’envi ce vieux dicton bien répandu : « Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Molène voit sa peine ». Mais revenons à notre Loïc, ainsi que tous les autres habitants de l’île, il allait à la pêche ; les femmes quant à elles, ramassaient le goémon.
Notre homme allait donc à la pêche, si on peut dire… Le soir, quand la météo était favorable, son petit bateau, une vieille pinasse baptisée ironiquement « La Chanceuse », le conduisait toujours au même endroit au large, là, il descendait ses filets et le lendemain matin, comme c’en est la règle, il y retournait pour les relever. Malheureusement, à chaque fois, bernique, il les remontait désespérément vides. A son retour au port, tous les pêcheurs l’observaient, riaient sous cape, ricanaient, les quolibets fusaient, d’aucuns disaient qu’il avait la guigne, le mauvais œil. Lui s’en moquait, ne se décourageait pas et recommençait, recommençait avec acharnement. Il faut dire à sa décharge qu’il ne comptait pas sur le produit de sa pêche pour vivre. Par chance, d’autres revenus lui assuraient une subsistance plus que correcte. Tout en manœuvrant son embarcation, il espérait dans son for intérieur qu’un jour quelque pêche miraculeuse leur clouerait le bec.
Et le miracle arriva !
Un matin, levé tôt comme d’habitude, après avoir avalé un bol de café brûlant, il enfila son ciré et prit la mer. Il soufflait un vent de noroît de force 4, c’était plus qu’une brise et les vagues se crêtaient d’écume blanche. Le frêle esquif dansait tel un bouchon et Loïc devait tenir fermement la barre. Arrivé sur son emplacement, il commença son travail de remontée, un peu désabusé, conditionné un peu par les piètres résultats de chaque sortie et un peu à cause du mauvais temps.
Soudain, que se passa-t-il ? Il sentit un poids inhabituel qui lui arrachait les bras. Quel drôle de gros poisson s’était donc pris dans les mailles ? La joie et l’impatience le gagnèrent. Enfin, il pourrait faire taire les mauvaises langues qui le dénigraient, eux si ridicules avec leurs tout petits butins.
Il tira, tira et ce ne fut pas un poisson qui émergea, ce fut un coffre, un coffre métallique ! Quelle surprise ! Tout seul, il lui était impossible de le hisser dans le bateau. Comment faire ? Avec effort, il réussit à l’arrimer dans son filet et filant sur les flots qui se creusaient, il le remorqua jusqu’au port.
Ainsi que les autres jours, les hommes l’attendaient et le guettaient, goguenards, tout en préparant leurs étalages, installant leur pêche brillante et frétillante. A grands gestes, il les appela. Dans un grand remue-ménage, tout le monde accourut avec curiosité vers le point d’amarrage de Loïc et à grand renfort d’exclamations et d’énergie, l’objet de l’attention générale se retrouva hissé sur le quai.
A le voir, il semblait encore dans un bon état de conservation bien que le métal soit assez dégradé. Des algues s’étaient accrochées aux fermetures. D’où pouvait-il venir et combien de temps avait-il séjourné dans l’eau ? On se demandait bien qui l’ouvrirait et chacun d’imaginer ce que pouvait se trouver à l’intérieur… un trésor peut-être … mais encore…
Loïc gratta un peu la couche de rouille pour dégager la serrure et on vit apparaître une lettre : « V » quant au reste c’était devenu illisible.
Dans les souvenirs de l’île, chacun se rappelait que dans cette zone agitée de la mer d’Iroise, les naufrages furent nombreux. Yvon, un vieux pêcheur édenté qui mâchouillait sa pipe d’écume et dodelinait de la tête se souvenait de la mésaventure d’un élégant voilier et leur raconta :
« C’était par une nuit d’hiver, dans les années soixante, lors des grandes marées, une nuit de tempête comme on en essuyait parfois. Des paquets de mer s’écrasaient contre la digue dans un bruit terrifiant, des vagues déchaînées secouaient les embarcations. Chacun se terrait au chaud dans les lits-clos pour ne pas entendre les rafales du vent violent.
Un trois-mâts anglais croisait dans le Passage du Fromveur, son équipage affolé semblait en grande difficulté ; en perdition, balloté par les courants, il s’écrasa sur les écueils qui hérissaient dangereusement le rivage. Malheureusement, il n’y eut aucun survivant, la mer ne ramena que des débris. Ce trois-mâts s’appelait : The Vanish. »
Le vieil homme pensait que ce coffre en provenait, c’était certain.
Avec l’approbation de tous, Loïc proposa de l’amener à la Maison Communale. Sage décision, personne n’en étant propriétaire. En attendant l’arrivée des autorités, les supputations allaient bon train, les discussions s’animaient.
Monsieur Stervel, le maire de Molène, accompagné d’un gendarme ordonna l’ouverture, il fallut forcer la serrure… Les curieux se serrèrent, les têtes de rapprochèrent et… stupéfaction !
Dans le coffre, soigneusement couchées, dormaient depuis bien longtemps des bouteilles dont on pouvait encore déchiffrer l’étiquette.
C’était du rhum, du vieux rhum, un rhum de grande qualité produit dans l’île de Marie-Galante. Et il y en avait de bouteilles, presque une cinquantaine, quelle affaire !
Avec impatience, le premier bouchon fut arraché le liquide ambré et parfumé coula dans les verres. Il était fameux, le séjour au fond de l’océan l’avait bonifié magnifiquement, un vrai bonheur avec un goût d’exotisme.
Il fut décidé à l’unanimité que ce capital appartiendrait à tous les habitants, Loïc bénéficiant d’une part plus importante, juste retour des choses.
La morale de cette histoire c’est que notre ermite ne devint pas riche cette fois encore, mais il ne le regretta aucunement. Le rêve et l’espoir l’avaient habité pour un instant, le souvenir de ce moment de fraternité lui resterait au fond du cœur et il le retrouverait avec émotion à chaque fois qu’il tremperait ses lèvres dans ce breuvage venu de si loin.