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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
28 décembre 2015

La petite fille en soie


Renée Gauvenet -

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                   Que peut bien regarder cette fillette avec son air un peu gauche, sans doute saisie par la prise de photo ?
Elle est toute potelée,  bien habillée, chaussures vernies,  chaussettes blanches, et petite robe tricotée, semble-t-il.
Oui, la robe est tricotée ou faite au crochet, dans un fin fil  de soie blanche, car sa maman qui l’a réalisée, prétend que seule la soie convient à la peau, que toutes les autres matières ne peuvent que l’irriter.
Ainsi tous les sous-vêtements, petites chemises ou culottes, seront ainsi coupés, cousus, brodés dans cette matière.
Elle grandit,  l’enfant aux vêtements de soie, apprend à lire, à écrire, à compter, à broder aussi.
Puis c’est l’école, elle continue à apprendre gaiement. Tout ce qui est papier lui plait, cahiers, livres, et crayons de toutes les couleurs.
Mais, il y a les autres qui se moquent, raillent la robe et les dessous de soie, font couler les larmes et s’en réjouissent..,
Pourtant elle tient bon, la petite. De classe en classe, elle monte, et devient de jour en jour plus instruite. C’est comme cela qu’elle se venge  des coups bas, des  humiliations .
On la complimente sur ses réussites et ce sont les autres qui pleurent.
Pourtant on ne dirait pas sur la photo de ses cinq ans une telle détermination, à quoi elle la doit.
 On ne saura jamais que c’est la force de sa maman partie, de son courage qu’elle a hérité.
 Les vêtements de soie s’usent pourtant, mais le souvenir de celle qui les a réalisés reste et un jour on abandonne cette matière pure et vivifiante.

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24 décembre 2015

Une lettre de Magritte à Lacan

Liliane Fainsilber -

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 En furetant dans une salle des ventes j'ai trouvé par hasard, parmi un paquet de vieux documents, une lettre de René Magritte, lettre supposée, d'après son contenu, avoir été adressée à Jacques Lacan sans qu'on puisse en être certain. Il faudrait bien sûr pouvoir l'authentifier.

« Cher ami,

comme vous devez vous en souvenir, nous nous sommes rencontrés au sein du groupe des surréalistes. C'est à ce titre, que je vous écris. J'ai toujours eu horreur de la psychanalyse et ce n'est donc surtout pas en tant que psychanalyste que je m'adresse à vous, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de mon tableau intitulé « La reproduction interdite » car il reste pour moi-même une véritable énigme.

Pourriez-vous au moins me suggérer quelques raisons qui restent inconnues de moi et qui m'ont poussé à faire ce portrait du poète anglais sous la forme de cet homme qui se regarde dans un miroir. Il ne se voit que de dos, ce qui donne, je trouve, à cette toile une impression de très inquiétante étrangeté. Le modèle est un poète anglais que vous connaissez peut-être. Il a pour nom Edward James, c'est l'un de nos plus fidèles mécènes, mais représenté ainsi de dos, nul ne peut le reconnaître. Peut-être même, en rajoutant mon chapeau sur sa tête, pourrait-on croire qu'il s'agit d'un auto-portrait.

 

Posé sur ce qui est une tablette de cheminée, j'ai peint un livre qui se reflète lui aussi dans le miroir mais dans sa forme normale, inversée. J'y ai inscrit son titre : « Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket ». Il s'agit comme vous le savez d'un livre d'Edgar Allan Poe, auteur que j'aime beaucoup. Je me suis posé certes la question de savoir pour quelle raison je l'avais choisi plutôt que de peindre un des livres de celui qui me servait de modèle, Edward James, cela aurait été plus logique.

Peut-être est-ce lié au fait qu'à la fin de ce roman il y a en effet la description d'un événement impossible à décrire, une apparition onirique neigeuse, une forme humaine de grande taille toute blanche vient se substituer à une impossible description de la découverte pourtant jusque là inédite de ce qu'il y avait réellement au pôle sud. Cette apparition vient certes rendre impossible cette découverte mais aussi en protège les trois héros qui sont en grand danger d'être engloutis avec leur fragile rafiot dans une sorte de gouffre qu'ils entrevoient au travers de ce voile. Je sais que Marie Bonaparte en a fait il y a quelques années une longue étude.

 Mais il m'est plutôt venu à l'idée, en y repensant, qu'une des anecdotes de ce livre pouvait être mise en relation avec cette reproduction interdite. Edgar Poe décrit en effet la terreur qui a saisi l'un des personnages de son roman, le chef d'une peuplade inconnue vivant près du pôle sud, lorsqu'il a découvert un double miroir dans la goélette qui venait d'aborder sur leur île. Ce qui avait provoqué sa terreur ce n'était pas de se voir de dos, mais de se voir deux fois de face, sur chacun des deux miroirs disposés l'un en face de l'autre.

Je sais en effet que vous avez eu un certain succès au cours d'un congrès de psychanalyse, en y développant ce que vous avez appelé le stade du miroir. C'est là, de ce que j'en ai compris, que l'enfant découvre en se regardant dans un miroir sa propre image et constitue son moi, ce d'autant plus qu'il le fait sous le regard admiratif de sa mère. Mais c'est aussi ce qui lui permet d'aimer les autres et de leur ressembler.

 Je me suis demandé si ce qui donnait à ce tableau cet aspect étrange ce n'était pas le fait qu'il rendait impossible à ce personnage de se regarder dans ce miroir tel Narcisse, les yeux dans les yeux, de s'y admirer ou de s'y détester mais au-delà d'y aimer ou d'y détester quelqu'un d'autre. il n'est pas en effet facile de s'identifier ou d'aimer quelqu'un qui vous tourne résolument le dos.

 La réponse de Lacan ne nous est pas parvenue, peut-être avait-il joué, dans sa lettre, sur l'équivoque du titre de ce tableau car les hommes aussi se reproduisent et, pour le maintien de la vie, il est en effet souhaitable que cette reproduction ne leur soit pas interdite. Comme le disait notre cher Rabelais, « La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute nature humaine ».

P.S. Cette lettre a été inventée par mes soins.

22 décembre 2015

Souvenirs d'Egypte

Le site d’Abou Simbel par Zabeth STEPAN

C’est un joli projet quabou-simbele nous avons réalisé,  projet qui nous tenait à cœur depuis longtemps et que nous avions plusieurs fois remis.

Nous sommes enfin en Egypte, en croisière sur le Nil ! Au fur et à mesure que le bateau remonte le fleuve, je me régale de visions inoubliables : Karnak, Louksor, la Vallée des Rois, Philae, et tant d’autres sites si imposants. Les temples, les pyramides, les monuments pharaoniques, tout ce dont je rêvais est là, je contemple émerveillée cette culture antique si riche. Bien sûr, toutes ces vues, je les connaissais, la télé, les livres me les avaient montrées ; mais maintenant j’y suis, c’est réel et émouvant. Ma joie est profonde.

Les jours passent, le plaisir ne se dément pas. Cependant, je sais que j’attends avec impatience une autre découverte encore plus forte, plus intense…

Il y a quelques heures, nous avons quitté le bateau, un bus nous a conduits dans la nuit vers la plus belle des destinations. Nous arrivons enfin.

Le jour se lève, les premiers rayons du soleil éclairent le désert, caressent les pierres. L’eau plate et lisse du lac Nasser scintille de mille reflets irisés. J’avance lentement, portée par la foule des touristes, une parmi tant d’autres.

Soudain, je les vois ! Majestueuses, imposantes, hiératiques, presque menaçantes, les statues se dressent à l’entrée du temple de Ramsès II. Elles sont magnifiques. Quelle émotion ! Immobile, je les admire, je m’emplis les yeux de cette vision grandiose. Les quatre colosses du temple d’Abou Simbel semblent émerger de la montagne, tels des gardiens immuables. Le soleil, petit à petit, illumine la façade de pierre dorée et éclaire glorieusement les visages de pharaon coiffé du pschent.

Je ressens toute l’importance et la puissance de Ramsès II. Une sensation d’écrasement m’étreint, je ne peux m’arracher à la contemplation de cette extraordinaire réalisation. J’entrerai bien sûr dans le temple, tant de merveilles m’y attendent encore, mais il me restera pour toujours cette première vision  comme la fin d’un long chemin au bout duquel m’attendaient ces statues assises dans le sable, depuis la nuit des temps. Elles étaient là pour impressionner et effrayer l’ennemi. Aujourd’hui, elles ne sont plus là que pour glorifier le plus grand des pharaons et séduire les nombreux visiteurs dont je fais partie ce matin d’hiver.

Qu’importe, je suis là,  je me tais, j’occulte la foule, la rumeur, les exclamations qui m’encerclent, me bousculent. J’oublierais presque de prendre les inévitables photos souvenirs. Autour de moi, les nombreux visiteurs mitraillent à tout va la façade du temple qui domine les eaux du barrage d’Assouan. Et moi ? Evidemment, je m’empresse de les imiter. Bien que ces images dont je ne me rassasie pas resteront imprimées dans ma mémoire, je ne veux pas courir le risque qu’elles pâlissent avec le temps.

C’est toujours un léger regret de sentir l’animation autour de moi, d’entendre les exclamations bruyantes des touristes.

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Comme chaque fois que je me trouve dans un site renommé, je voudrais que personne ne me dérange, que personne ne s’agite.  Egoïstement encore cette fois, j’aurais aimé y être seule avec mon mari, ne partager qu’avec lui ce spectacle majestueux. Cependant, je ne dois pas être la seule à réagir ainsi. J’imagine que beaucoup de ceux qui sont là pensent sûrement que ce lieu leur appartient aussi en particulier. 

 Mais le temps passe trop vite, il faut déjà partir, quitter avec tristesse ce lieu magique et réaliser que je n’y reviendrai pas. Quand même, quel bonheur d’être arrivée jusqu’ici ! Quelle émotion d’avoir pu admirer les deux temples qui se côtoient pour l’éternité face au Nil. Un dernier regard, une dernière photo et je pars avec un peu de mélancolie, laissant derrière moi, ces images envoûtantes qui depuis ne m’ont plus quittée. 

22 décembre 2015

Café Le Regard

Marie-Claude Miollan -

 

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Lorsque je t’aperçus pour la première fois il y a maintenant longtemps sur cette place, tu n’étais qu’une jeune et très jolie adolescente. Sac sur le dos, visiblement pressée sur ta trottinette, tu devais être en retard à ton cours, à moins qu’un rendez-vous avec tes copains ne soit à l’origine de ta précipitation.

Moi j’étais installé à une table du café « Le Regard » attendant je ne sais quoi.

Je sirotais un coca me questionnant sur mon avenir une fois mon bac en poche.

Bac que j’étais venu réviser chez une tante dans cette ville du sud de la France, à la demande de mes parents, inquiets de me voir à quelques semaines de l’examen continuer à m’amuser.

Ton allure, tes cheveux attachés en queue de cheval se balançant dans ton dos, l’énergie que tu mettais à pousser sur ta trottinette m’amusèrent. Une expression me vint : « Quel tonus ». Un tonus dont je manquais pour me mettre à travailler, à réviser.

Durant ces quelques jours de révisions, j’eus plusieurs fois l’occasion de te croiser. Le café « Le Regard » était pour ta bande de copains et toi, je le compris vite, votre lieu de rencontre à la sortie du lycée. Je venais donc là m’installer pour travailler. J’eus le temps de te regarder, de t’admirer aussi, même si, te sentant observée, croisant mon regard, tu m’obligeais à détourner rapidement le mien. Au milieu de tes copains tu étais à l’aise, garçons comme filles sollicitaient fréquemment ton avis, toi calme, souriante, tu répondais d’un mot ou d’un sourire. Trop loin pour saisir les sujets de vos conversations, je t’observais et sans m’en rendre compte je devins très rapidement amoureux de toi.

 Ayant repéré vos heures de présence, je m’arrangeais pour être là avant votre arrivée. Votre groupe avait un endroit qui lui était en quelque sorte réservé. Un jour venant plus tôt que d’habitude je t’y trouvais seule. J’eus envie de venir vers toi, de m’approcher de toi, de te parler. Mais je n’en eu pas le courage. Je pense que tu perçus mon hésitation. Je me souviens encore qu’à mon arrivée tu levas les yeux vers moi, mais rien dans ton regard ne m’incita à te rejoindre malgré une ébauche de sourire. Quelques instants après tes copains arrivaient et je pensais alors que j’avais bien fait de ne pas bouger malgré l’immense regret de n’avoir rien tenté à cet instant.

Quelques jours après je repartais. Je passais le bac et le réussis.

Et c’est aujourd’hui bien plus tard, alors que nous nous retrouvons dans cette fac de lettres que je peux te dire combien je fus et suis encore amoureux de toi.

 

 

 

 

19 décembre 2015

Coup de foudre sous une tempête de neige

Liliane Fainsilber -

 

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A cause d'une soudaine tempête de neige, nous nous sommes trouvés pris au piège, avec quelques autres automobilistes, sur une petite route de montagne, sans aucune maison à des kilomètres à la ronde. La nuit commençait à tomber et il faisait déjà très froid. Chacun sortit de sa voiture et essaya de s'organiser au mieux pour la nuit. Par chance un grand tas de bois coupé par les cantonniers se trouvait à proximité. Nos deux adolescents, Romain et Julien, furent tout heureux de faire un grand feu pour pouvoir se réchauffer. Ceux qui en avaient sortirent de leurs bagages quelques provisions et on s'aperçut donc que, sans faire un grand festin, la nourriture mise en commun serait amplement suffisante. C'est ainsi qu'à plusieurs familles jusqu'à ce jour inconnues l'une de l'autre, nous avons eu une très belle veillée au clair de lune, car le ciel était maintenant dégagé et plein d'étoiles. Dans l'une des voitures, une charmante jeune fille voyageait avec ses parents, elle devait avoir quinze ou seize ans. Elle semblait très timide mais au cours de la soirée, elle s'enhardit même jusqu'à parler un peu avec mes deux fils. Ils échangèrent quelques opinions sur leurs préférences musicales, se découvrirent une passion commune pour Ibrahim Malouf et Grand-corps-malade et firent plus ample connaissance, en discutant de leurs études communes.

Au moment de se réfugier dans les voitures pour tenter d'y dormir, l'un d'entre nous découvrit dans l'obscurité à une vingtaine de mètres de la route, une grange sans doute abandonnée. Poussant la lourde porte de bois, il vit qu'elle était remplie de foin et ferait donc un confortable abri. C'est donc là que nous décidâmes de nous installer. C'est ainsi que certains évoquèrent de merveilleux souvenirs d'enfance et de jeunesse, parmi eux, des souvenirs de voyages en auto-stop et de nuits à la belle étoile, la bonne odeur du foin dans les granges et la chanson de Mireille, « couchés dans le foin avec le soleil pour témoin, un petit oiseau qui chante au loin... »

Au petit matin, nous avions tous plein de foin dans les cheveux et les vêtements froissés mais nous avions très bien dormi.

Les déblayeuses, qui étaient maintenant arrivées du village voisin, entrèrent en action et dégagèrent la route.

Or au moment de tous nous séparer un peu à regret, un homme de belle prestance, cheveux poivre et sel, qui s'était présenté sous le nom d'Antoine de Poggioli, s'avança vers Florence, une des jeunes femmes auprès de qui il avait passé la soirée, il l'entraîna un peu à l'écart du groupe et lui dit qu'il aimerait bien la revoir.

On sait que les obstacles mis au développement d'une passion ne servent qu'à lui donner plus de force, mais encore faut-il qu'ils puissent être franchis. Nous qui étions ainsi devenus les témoins de la naissance de cette idylle, nous nous demandions tous si ce coup de foudre sous une tempête de neige pourrait avoir une suite. En effet Antoine de Poggioli était conseiller en communication auprès de l’Élysée, tandis que Florence, bergère moderne, gardait ses moutons sur les hauts plateaux du Larzac et faisait du fromage avec le lait de ses brebis. Est-ce toujours vrai que les princes, même de pacotille, épousent toujours des bergères ? Cela dépend des circonstances mais aussi du désir de ces dernières, et Florence, la jolie bergère du Larzac n'avait pas encore dit son dernier mot. Dirait-elle oui ?

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Deux ans après, ceux qui passaient le samedi sur le marché de Lodève pouvait discuter de vive-voix avec l'ancien conseiller en communication de l’Élysée. Celui-ci avait en effet abandonné à jamais ses coûteux costumes trois pièces et vendait désormais ses fromages auprès de sa jeune et charmante épouse. Il savait maintenant ce qu'était la vraie vie et tout cela à cause d'une tempête de neige.

 

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Mais ce qu'on sait moins c'est que depuis que son conseiller en communication l'a abandonné pour devenir berger, le président de la république n'a pas en effet réussi à justifier la vertigineuse ascension de la courbe du chômage et il ne pourra donc pas se représenter comme il l'a promis. Tout çela est donc la faute de la jolie bergère du Larzac dont Antoine est tombé amoureux. Comme le rappelle le proverbe «  A petite cause, grands effets ».

 

 

 

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18 décembre 2015

La drôle de pêche

Par Zabeth STEPAN

Si je commence par : « Il était une fois en Bretagne… » est-ce que vous supposez que mon histoire sera un conte ?

Donc, il était une fois un drôle de pêcheur qui s’appelait Loïc Le Berre.Ce brave homme vivait en solitaire ; les îliens qui le côtoyaient à

molèneMolène, le trouvant vraiment pas sociable, le considéraient comme un sauvage. Certes, il n’était guère avenant, le visage buriné mangé par une barbe épaisse, les yeux clairs, délavés, abrités sous la visière d’une casquette, casquette fatiguée  qui en avait vu d’autres. Il ne montrait pas trop d’intérêt pour ses toilettes, toujours attifé des mêmes vêtements sombres. Il demandait seulement qu’on le laisse tranquille, vivre par choix et par goût tel un ermite, dans sa masure battue par les vents, minuscule construction solitaire au toit d’ardoise grise, au bout de la Chaussée des Pierres Vertes, non loin du sémaphore.

Il était réellement seul, ses parents décédés depuis longtemps et, célibataire endurci, il n’avait jamais eu l’envie, ni l’occasion d’unir sa destinée à celle d’une compagne. Sa vie aurait-elle été différente ? Sûrement, mais l’âge venant, tout cela n’avait plus pour lui aucune importance.

Sur la petite île séparée de la côte du Finistère, comme sur sa voisine Ouessant, la vie était rude, les tempêtes sévères, les vagues déferlantes, les ressources précaires, les distractions inexistantes. Et chacun de répéter à l’envi ce vieux dicton bien répandu : « Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Molène voit sa peine ». Mais revenons à notre Loïc, ainsi que tous les autres habitants de l’île, il allait à la pêche ; les femmes quant à elles, ramassaient le goémon.

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Notre homme allait donc à la pêche, si on peut dire… Le soir, quand la météo était favorable, son petit bateau, une vieille pinasse baptisée ironiquement « La Chanceuse », le conduisait toujours au  même endroit au large, là, il descendait ses filets et le lendemain matin, comme c’en est la règle, il y retournait pour les relever. Malheureusement, à chaque fois, bernique, il les remontait désespérément vides. A son retour au port, tous les pêcheurs l’observaient, riaient sous cape, ricanaient, les quolibets fusaient, d’aucuns disaient qu’il avait la guigne, le mauvais œil. Lui s’en moquait, ne se décourageait pas et recommençait, recommençait avec acharnement. Il faut dire à sa décharge qu’il ne comptait pas sur le produit de sa pêche pour vivre. Par chance, d’autres revenus lui assuraient une  subsistance plus que correcte. Tout en manœuvrant son embarcation, il espérait dans son for intérieur qu’un jour quelque pêche miraculeuse leur clouerait le bec.

Et le miracle arriva !

Un matin, levé tôt comme d’habitude, après avoir avalé un bol de café brûlant, il enfila son ciré et prit la mer. Il soufflait un vent de noroît de force 4, c’était plus qu’une brise et les vagues se crêtaient d’écume blanche. Le frêle esquif dansait tel un bouchon et Loïc devait tenir fermement la barre. Arrivé sur son emplacement, il commença son travail de remontée, un peu désabusé, conditionné un peu par les piètres résultats de chaque sortie et un peu à cause du mauvais temps.

CoffreSoudain, que se passa-t-il ? Il sentit un poids inhabituel qui lui arrachait les bras. Quel drôle de gros poisson s’était donc pris dans les mailles ? La joie et l’impatience le gagnèrent. Enfin, il pourrait faire taire les mauvaises langues qui le dénigraient, eux si ridicules avec leurs tout petits butins.

Il tira, tira et ce ne fut pas un poisson qui émergea, ce fut un coffre, un coffre métallique ! Quelle surprise ! Tout seul, il lui était impossible de le hisser dans le bateau. Comment faire ? Avec effort, il réussit à l’arrimer dans son filet et filant sur les flots qui se creusaient, il le remorqua jusqu’au port.

Ainsi que les autres jours, les hommes l’attendaient et le guettaient, goguenards, tout en préparant leurs étalages, installant leur pêche brillante et frétillante. A grands gestes, il les appela. Dans un grand remue-ménage, tout le monde accourut  avec curiosité vers le point d’amarrage de Loïc et à grand renfort d’exclamations et d’énergie, l’objet de l’attention générale se retrouva hissé sur le quai.

A le voir, il semblait encore dans un bon état de conservation bien que le métal soit assez dégradé. Des algues s’étaient accrochées aux fermetures. D’où pouvait-il venir et combien de temps avait-il séjourné dans l’eau ? On se demandait bien qui l’ouvrirait et chacun d’imaginer ce que pouvait se trouver à l’intérieur… un trésor peut-être … mais encore…

Loïc gratta un peu la couche de rouille pour dégager la serrure et on vit apparaître une lettre : « V » quant au reste c’était devenu illisible.

Dans les souvenirs de l’île, chacun se rappelait que dans cette zone agitée de la mer d’Iroise, les naufrages furent nombreux.  Yvon, un vieux pêcheur édenté qui mâchouillait sa pipe d’écume et dodelinait de la tête se souvenait de la mésaventure d’un élégant voilier et leur raconta :

« C’était par une nuit d’hiver, dans les années soixante, lors des grandes marées, une nuit de tempête comme on en essuyait parfois. Des paquets de mer s’écrasaient contre la digue dans un bruit terrifiant, des vagues déchaînées secouaient les embarcations. Chacun se terrait au chaud dans les lits-clos pour ne pas entendre les rafales du vent violent.

Un trois-mâts anglais croisait dans le Passage du Fromveur, son équipage affolé semblait en grande difficulté ; en perdition, balloté par les courants, il s’écrasa sur les écueils qui hérissaient dangereusement le rivage. Malheureusement, il n’y eut aucun survivant, la mer ne ramena que des débris. Ce trois-mâts s’appelait : The Vanish. »

Le vieil homme pensait que ce coffre en provenait, c’était certain.

Avec l’approbation de tous, Loïc proposa de l’amener à la Maison Communale. Sage décision, personne n’en étant propriétaire. En attendant l’arrivée des autorités, les supputations allaient bon train, les discussions s’animaient.

Monsieur Stervel, le maire de Molène, accompagné d’un gendarme ordonna l’ouverture, il fallut forcer la serrure… Les curieux se serrèrent, les têtes de rapprochèrent et… stupéfaction !

Dans le coffre, soigneusement couchées, dormaient depuis bien longtemps des bouteilles dont on pouvait encore déchiffrer l’étiquette.

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C’était du rhum, du vieux rhum, un rhum de grande qualité produit dans l’île de Marie-Galante. Et il y en avait de bouteilles, presque une cinquantaine, quelle affaire !

Avec impatience, le premier bouchon fut arraché le liquide ambré et parfumé coula dans les verres. Il était fameux, le séjour au fond de l’océan l’avait bonifié magnifiquement, un vrai bonheur avec un goût d’exotisme.

Il fut décidé à l’unanimité que ce capital appartiendrait à tous les habitants, Loïc bénéficiant d’une part plus importante, juste retour des choses.

La morale de cette histoire c’est que notre ermite ne devint pas riche cette fois encore, mais  il ne le regretta aucunement. Le rêve et l’espoir l’avaient habité pour un instant, le souvenir de ce moment de fraternité lui resterait au fond du cœur et il le retrouverait avec émotion à chaque fois qu’il tremperait ses lèvres dans ce breuvage venu de si loin. 

18 décembre 2015

Clairvoyance

Liliane Fainsilber - 

 

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A la gare de Bruxelles, Aurélie sauta dans le train qui la ramenait vers Paris. Elle n'avait pas eu le temps d'acheter des journaux et se trouvait un peu désœuvrée. Elle jeta un coup d'oeil sur la tablette de son voisin. Il avait étalé quelques fiches et elle vit surtout sur l'écran de son ordinateur la reproduction d'un tableau de Magritte qu'elle ne connaissait pas. Le peintre avait disposé sur une table son modèle, un œuf, sur sa toile il avait figuré un oiseau aux larges ailes prenant son envol. Comme elle savait que les titres de ses tableaux avait toujours beaucoup d'importance même s'ils paraissaient souvent être sans lien avec eux, elle demanda à ce jeune homme son titre. C'était l'occasion de nouer connaissance et d'engager la conversation. Tandis qu'il lui répondait elle se tourna vers lui et découvrit un grand gaillard, à la barbe et la chevelure un peu hirsute. Il se présenta : «  Aurélien ! ». Malgré la chaleur du wagon, il avait gardé un gros pull de laine rêche sans doute tricoté à la main. Il lui faisait penser à un de ses soixante-huitards un peu passés de mode maintenant. Il était étudiant aux Beaux-arts et préparait un mémoire sur Magritte et le surréalisme, il se montra enchanté de pouvoir en discuter avec sa compagne de voyage. Oui, ce tableau s'appelait « Clairvoyance » et évoquait en effet toute l'essence du surréalisme dans cet énigmatique trio, l'oeuf, comme modèle, l'oiseau comme sa représentation, et le titre qui constituait l'interprétation du peintre. Il souhaitait en effet voir clair au-delà de la réalité de l'objet, en révélant son mystère sous la forme de cet oiseau qui s'envolait à tire d'aile échappant à jamais au regard. Comme elle se sentait en sympathie avec lui elle lui posa quelques autres questions sur son étude et lui confia à quel point un autre des tableaux de Magritte provoquait pour elle un sentiment d'inquiétante étrangeté à la limite de l'angoisse. Il s'agissait de celui qui s'appelle la reproduction interdite. Un homme vu de dos se regarde dans un miroir mais au lieu de se voir de face, comme on ne pourrait que si attendre, il se voit de dos.

not-to-be-reproducedC'est ce miroir maléfique qui lui renvoie cette image insolite. Mais ce spécialiste en herbe de Magritte ne put lui en dire plus si ce n'est qu'une reproduction interdite n'était pas la même chose qu'une reproduction impossible et se posait la question de savoir quel était l'agent interdicteur. Quelle instance avait empêché cet homme de se regarder en face et de se tourner ainsi le dos ? Au milieu de cette sérieuse discussion, il commencèrent à apercevoir les tristes pavillons de banlieue de la région parisienne, le voyage avait passé si vite ! Ils eurent la claire vision du fait qu'ils seraient bientôt séparés mais peut-être aussi la clairvoyance du destin qui les attendaient et vite ils échangèrent leurs numéros de téléphone pour être sûrs de pouvoir se revoir.

14 décembre 2015

Les cinq filles d'André Barbérini

Liliane Fainsilber -

 

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A Marseille, dans les années 40, le quartier de la Belle de mai n’était pas entièrement urbanisé. Il y avait au milieu des immeubles, des champs de trèfle, des jardins potagers et surtout d’anciennes demeures encore entourées d’une partie de leurs parcs. Parmi elles, une maison de maître de belle prestance avait été divisée en appartements. Devant une lourde porte de chêne deux beaux cèdres du Liban témoignaient encore de sa splendeur passée. Mais c’était tout ce qui restait du parc.

 

Au rez-de-chaussée, d’un côté habitait une femme à l’allure décidée, habillée de couleurs criardes, elle avait le verbe haut et nul ne pouvait ignorer la virulence de son accent marseillais. Son mari un peu freluquet ne semblait pas savoir faire grand-chose de ses dix doigts.

En face habitait celui qu’elle appelait « le cul de jatte ». Il avait en effet perdu une jambe, peut-être à la guerre. Personne ne savait grand-chose de lui car les habitants de cette maison ne se fréquentaient guère. Une certaine animosité régnait même entre eux. C’est ainsi que la première allait arroser tous les matins les jeunes pousses de haricots verts de son voisin à l’aide de quelques gouttes d’acide chlorhydrique pour être sûre qu’elles ne survivraient pas à son traitement.

Une famille dont les grands parents avaient échappé de justesse au génocide arménien habitait en toute discrétion au second étage de la maison. Le père était horloger et travaillait comme artisan dans une petite boutique du cours Belsunce. A ce même étage une autre famille de quatre personnes y séjournait, les parents et deux enfants arrivés à l’âge adulte. Ils étaient craints de tout le voisinage car ils faisaient partie de la milice. Ils étaient toujours coiffés de leurs sombres bérets noirs. Chacun avait peur d’être dénoncé par eux à la gestapo pour la moindre parole de critique ou de révolte vis-à-vis du maréchal et de l’occupant. Il n’était donc pas question d’écouter « Ici Londres », car les murs avaient des oreilles.

 

Tout à côté de cette grande maison, ce qui avait été peut-être une grange ou une écurie avait été aménagé. La famille Barbérini y était logée. Les parents à leur grand désespoir n’avaient pas eu de garçon pour transmettre le nom de la famille, disaient-ils, mais ils avaient par contre cinq filles. Ils vivaient dans la hantise de ce qui pourrait leur arriver. Les aînées en effet étaient adolescences et commençaient à s’intéresser de très près aux garçons. Ce sont elles qui ont donc commencé à tisser des liens entre chacune de ces cinq familles.

Camille avait choisit Albert Altoussian, le jeune fils de la famille arménienne. Léontine, le fils de la poissonnière, et Catherine le fils du cul-de-jatte, enfin il y en a même une, Sabine qui se dévoua pour séduire un des jeunes miliciens. Elle fit si bien qu’il entra en 1943, dans la résistance. Ainsi ces cinq familles, grâce à ces cinq Juliette qui trouvèrent chacune leur Roméo, rejouèrent le drame des Montague et des Capulet. Ils se réconcilièrent, mais au moins, pour cette fois, il n’y eut pas de morts bien au contraire beaucoup de petits Montague et de petits Capulet vinrent au monde, mais hélas, toujours pas de petits Barbérini !

12 décembre 2015

Blandine : Quelle histoire !

 Marie-Claude Miollan -

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Elle y pensait depuis longtemps. Aujourd’hui elle était là accompagnée de sa petite Blandine, si jolie, si douce. Ce n’est pas sans hésitation, qu’elle était entrée dans ce centre de consultations tout à l’heure malgré la décision qu’elle avait prise il y a très longtemps déjà. Elle avait conscience qu’une fois qu’elle aurait dit ce qu’elle avait à dire, il lui faudrait sans doute partir de chez elle, d’un chez elle qui est celui de ses parents où elle vivait dans une chambre qu’elle partageait avec sa fille. Quand elle s’était découverte enceinte, ils avaient voulu savoir qui était le père. Mais elle n’avait rien dit, pas souhaité, pas voulu répondre à toutes leurs questions. Même lui l’avait questionné.

Elle ne se souvenait plus très bien comment tout avait commencé, ni à quel âge Elle repensa à la dépression de sa mère, à sa longue absence, quand après une hospitalisation et un long séjour en Centre de convalescence, elle ne rentrait à la maison qu’épisodiquement.

C’était alors elle qui avait pris en charge la maison. Elle, qui tout en allant au collège faisait la cuisine, le ménage et qui avait fini par prendre la place de sa mère dans le lit parental.

Quand sa mère était revenue, l’habitude était prise. De toutes façons ses parents ne s’entendaient plus, ils avaient chacun leur chambre.

Cela lui était donc facile de venir la nuit la retrouver.

Elle en avait voulu à sa mère de ne s’être doutée de rien. Ou peut-être avait-elle fait semblant de ne rien voir.

Elle, par contre se sentait coupable, mais comment dire « non ». Puis il y avait eu la grossesse. Elle avait bien pensé à l’IVG, mais elle n’avait pas osé en parler à l’infirmière du collège, elle aurait posé des questions, demandé qui était le père, et puis elle savait bien que ce qu’ils faisaient était interdit. Elle ne voulait pas qu’il aille en prison.

Mais maintenant qu’elle avait sa fille, tout était différent. Elle savait qu’un jour elle aurait à répondre à ses questions : Qui est mon Papa ? Comment il s’appelle ? Où habite-t-il ?

Ce sont toutes ces interrogations qui l’amènent à être dans cette salle d’attente aujourd’hui. Elle souhaite ne pas trop attendre de peur d’avoir envie de repartir. Mais non , elle reste là silencieuse. Blandine blottie dans ses bras, regarde la pièce, détaille les personnes présentes.

Une porte s’ouvre, une femme l’invite à entrer dans un bureau, son regard est doux. Elle sent qu’elle peut, qu’elle doit lui parler, qu’elle pourra la comprendre.

Elle s’assied sur le bord de la chaise. Avec Blandine dans les bras, elle se sent protégée. Par un geste accompagné d’un sourire la femme l’invite à parler, à raconter.

Après quelques secondes d’hésitation, elle commence et tout devient alors facile. Etonnée elle-même d’y arriver, de trouver les mots pour dire, de ne plus avoir peur d’être jugée de pouvoir faire confiance. Elle commence à parler de sa fille, de sa grossesse, de sa souffrance lors de l’accouchement, du soin qu’elle avait pris d’aller déclarer sa fille à la mairie avant son accouchement.

A ce moment du récit le regard interrogatif de la femme l’amène à révéler ce pourquoi elle est venue, la relation incestueuse.

Une fois la chose nommée, un soulagement étrange mêlé à de l’émotion l’étreint. Elle se laisse alors aller à pleurer. Blandine, qui jusque là était restée immobile sur ses genoux, se blottie dans ses bas comme pour la consoler. Après un long silence où toutes trois réalisent l’importance de ce qui vient de se dire, la femme s’adresse à Blandine « Voilà, maintenant tu sais qui est ton papa. C’est à la fois ton papa et ton grand père. Ce que ton grand père et ta maman ont fait est interdit par la loi des hommes. Mais tu avais envie de vivre et ta maman t’aime ».

Elle, ébranlée par ce qu’elle vient d’entendre, ce rappel de la loi, se demande si elle veut, si elle peut porter plainte. N'est elle pas aussi coupable que lui ?

C’était quand même lui l’adulte, il aurait du savoir.

La question d’un dépôt de plainte fut soulevée en fin d’entretien sans qu’une décision ferme fût prise.

Elles reprirent rendez-vous pour la semaine suivante.

 

 

 

9 décembre 2015

Fruits confits de Nice

 

 Liliane Fainsilber -

 

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Ses parents s'étaient connus très jeunes. Ils habitaient à Nice et travaillaient tous les deux à la poste. Son père y avait débuté à quatorze ans comme télégraphiste. Au moment où ils s'étaient rencontrés ils travaillaient tous les deux derrière le guichet. Il aidait la jeune fille a faire ses additions à la fin de la journée. Cela avait crée entre eux une connivence.

Ils eurent une première fille. Quand elle était née, son père avait vingt ans et sa mère dix neuf ans. Ils l'avaient appelée Clémentine. Ils n'étaient pas riches et du coup, Jérôme faisait double journée. La nuit il partait faire le tri des lettres et se retrouvait le matin à son poste.

 

Autour de la place Masséna, étaient bâtis de luxueux palaces blancs impressionnants par le luxe dont ils faisaient étalage. La plupart avaient vue sur la mer et étaient entourés de parcs. Palmiers et eucalyptus faisaient de cette ville une cité de rêve. Au moins s'offrait-elle à la vue de tous. Il en était de même de son marché aux fleurs. A l'époque, sur les collines alentour il y avait beaucoup de serres où étaient cultivés les oeillets. Ces oeillets, de par leur abondance même étaient vendus par botte de cinq douzaines. C'était un énorme bouquet que vous aviez dans les bras. Chacun pouvait en profiter. Comme le mimosa, leur parfum était délicieux et on ne peut que regretter leur progressive disparition.

 

Parmi tous les charmes de cette ville, ce qui était l'objet de toutes leurs convoitises, à ses sœurs et à elle, c'était les somptueuses vitrines des confiseries. Elles exposaient à profusion d'immenses corbeilles de fruits confits. Le glaçage du sucre dont tous ces fruits étaient enveloppés exaltait leurs couleurs les opposant violemment entre elles, du jaune vif des citrons au vert presque criard de l'angélique rehaussant le rouge plus atténué, plus délicat, des cerises.

Elle n'en avait pas encore conscience alors mais il existait une sorte de ligne de partage entre une Nice populaire, qui devait être à l'époque relativement pauvre et celle du monde des riches, ces touristes qui venaient profiter du soleil dès le début du printemps. Elle ne se souvenait pas en avoir approché de près. La barrière devait leur sembler infranchissable et ces étalages de fruits confits dans leur inaccessibilité en devenait en quelque sorte le symbole.

 

Quelques années après devenue adulte, elle avait retrouvé ces fruits confits dans la vitrine d'une boutique de Draguignan. Certes la vitrine n'avait rien de ce luxe niçois d'antan, mais un melon confit dans sa coque de sucre transparente se trouvait mis en valeur par la présence de quelques rutilantes mandarines et d'un beau cédrat jaune pâle. Elle ne put résister au plaisir de réaliser enfin le désir de son enfance, celui de pouvoir goûter à ces fruits confits qui étaient en quelque sorte devenus pour elle des fruits défendus peut-être en tant que symboles de réussite sociale.

 

Ce melon avait été enveloppé d'un papier transparent qui lui donnait une certaine solennité, la dignité d'un somptueux cadeau. Comme sa croûte glacée était, elle, translucide, on devinait au travers, l'orangé délicat de sa pulpe. Il était promesse d'une délicieuse expérience gustative.

Mais hélas, une fois ouvert et coupé en tranches, Clémentine s'aperçut alors que, malgré son nom si prometteur, fruit confit, il était certes très sucré mais avait perdu tous ses parfums de l'été, du temps où il avait été un melon tout simple, tout frais cueilli et minutieusement choisi, senti, soupesé et tâté, parmi le monceau de tous ses congénères, au marché provençal du village d'Aups, sur l'étalage d'un des marchands.

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