Un curieux voyage dans le temps
Zabeth Stépan
Prétexte : voyage dans le temps avec les mots du sac : vivre vite ! – zigzag entre les zombies – adieu la voiture ?
Croyez-le ou non, ce que je vais vous raconter n’est pas une invention farfelue de ma part. Cette histoire m’est arrivée réellement. Il me faut remonter à l’origine de cet évènement.
Je m’appelle Rose Berna, je suis née en 1946 ce qui me fait cette année l’âge de 74 ans. Je suis retraitée bien sûr après avoir travaillé dans un laboratoire médical. Je vis depuis une vingtaine d’années dans un moulin au bord d’une rivière tranquille, moulin que nous avons acheté et aménagé avec mon mari Bruno. Nous y avons chacun notre domaine réservé pour nos activités personnelles. Lui aime peindre, sculpter, moi écrire, lire, en plus je jardine et entretiens, une véritable fée du logis. Nous aimons aussi beaucoup les promenades dans la campagne environnante. Notre vie est calme et sereine et nous apprécions tellement de ne plus être obligés de vivre vite !
Un jour d’automne à la température encore douce et aux frondaisons parées de lumineuses couleurs chatoyantes, un jour d’automne donc, je me suis installée dans une chaise longue pour un moment de repos. J’étais bien, à l’ombrage sous les branches d’un magnolia qui nous offrait ses dernières fleurs. J’étais si bien que peu à peu un engourdissement béat m’a prise et je me suis endormie.
Ai-je dormi longtemps ? Je ne saurais dire, seulement lorsque je me suis réveillée, interdite, je n’en croyais pas mes yeux. Où étais-je ? Où était passé le magnolia ? Il n’y avait plus de moulin, plus de chaise-longue. J’étais toujours au bord de la rivière, dans un paysage désert et dans une coque transparente hermétiquement close. Un ronronnement discret m’a fait comprendre que j’y respirais un air fabriqué.
Devant moi un tableau de bord aux multiples voyants et écrans me sollicitait. Je n’ai pas eu besoin de réfléchir, mes gestes automatiques ont su mettre en route ce curieux véhicule qui s’est élevé doucement, et j’ai pensé : « Adieu la voiture ! Vive ce nouveau moyen de transport !» Finalement je trouvai cela amusant et ne me posais pas de questions.
J’étais vêtue d’une combinaison moulante, ultralégère taillée dans une matière inconnue, totalement synthétique et d’une étrange couleur changeante. Mon voyage assez bref m’a transportée au-dessus de ce qui ressemblait à une drôle de ville. Des coupoles transparentes coiffaient un espace désert. J’ai vu d’autres véhicules jumeaux du mien qui stationnaient l’un à côté de l’autre. Sans que je m’en occupe, ma capsule s’est dirigée vers un emplacement libre et s’y est encastrée en douceur. Une paroi a coulissé et une voix suave m’a invitée à m’extraire de ce cocon.
J’ai arpenté un couloir qui diffusait une musique assez crécelle, un peu discordante, j’étais seule, un peu inquiète. Soudain devant moi, une portion du sol s’est ouverte et j’ai aperçu une plateforme qui m’attirée. Lorsque j’y ai posé les pieds, elle s’est mise à descendre comme un ascenseur ordinaire. Puis elle s’est immobilisée sans aucune secousse et la cloison face à moi s’est écartée.
J’étais maintenant dans une galerie où déambulaient de curieux personnages auxquels je ne ressemblais pas vraiment, quoique… Ils étaient tous identiques, vêtus de la même combinaison que moi d’ailleurs et leurs visages étaient totalement inexpressifs. Aucun ne me regardait, ne semblait me voir, ne me parlait. Je marchais en zigzag entre ces zombies qui avaient cependant l’air inoffensifs.
Je ne voyais aucun magasin, aucun lieu de convivialité, aucun appartement. Comment vivait-on ? Que mangeait-on ? Où est-ce qu’on dormait ? Apparemment, on ne communiquait pas, on ne se touchait pas, on ne riait pas, je ne voyais pas d’enfants, aucun lieu de culture ou de sport. J’avais un peu d’angoisse… je me sentais si seule…
Et brusquement, levant la tête, sur un écran lumineux, je vis inscrite la date du jour : 10 octobre 2520 ! Affolée, je compris en un éclair que j’avais fait un bond de cinq cents ans dans le futur, mais quel futur ! Aseptisé, stérilisé, surprotégé, un futur où l’on n’avait rien à dire, rien à faire, rien à vivre en somme.
Des questions me taraudaient : A vivre ainsi confiné, est-ce qu’on redoutait la pandémie de quelque virus malin ? Comment en était-on arrivé là ? Quelle catastrophe avait eu ces conséquences ? J’ai bien essayé d’interroger les zombies, mais aucun ne me répondait, pire, ils semblaient même ne pas me voir, j’avais l’impression d’être devenue transparente. Quel drame !
A ce moment-là, je suis passée sous un projecteur à la lumière éblouissante, une chaleur subite m’a enveloppée et j’ai de nouveau perdu connaissance…
Une voix familière me parlait, quelqu’un me caressait le visage et murmurait à mon oreille :
« Ma chérie, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu rêvais ? Tu avais l’air de faire un cauchemar. Tu me racontes… »
Alors, blottie dans le bras de mon mari, je lui ai fait le récit de ce qui heureusement n’était qu’un rêve, un mauvais rêve pour sûr, mais un songe qui restait horriblement précis. Je comprenais qu’à force de lire des romans d’anticipation, de prendre en compte les prévisions pessimistes sur l’avenir de notre vieille Terre, mon cerveau en avait fait son profit, et voilà qu’il me le ressortait sous cette forme.
Rassurée, je contemplais avec émotion cet environnement que j’aimais tant et qui me semblait à l’abri de ces dégradations et de cette organisation froide et insensible. Un véritable soulagement de pouvoir ne pas rester dans cette époque, si j’avais été vraiment transportée en 2520, sans possibilité de retour, je l’aurais vécu comme une catastrophe. Cependant, tout de même, une impression désagréable ne me quittait pas et se posaient à moi les questions fatales :
Et si dans cinq cents ans notre planète ressemblait à ce que j’avais vu ? Quels moyens avions-nous de l’éviter ? Tous les conseils écologiques prenaient une importance capitale. A nous de réagir, comme le répète Isabelle Autissier, elle qui est à la tête de WWF France, nous sommes la dernière génération à pouvoir le faire.
Mais, n’est-il pas déjà trop tard ?