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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
22 octobre 2015

La fille du chef des voleurs

 

Captain-Fracasse-2300 Liliane Fainsilber - 

 

Hélène laissa tomber le livre qu'elle lisait, le dernier prix Goncourt, et se mit à rêver avec nostalgie à d'autres romans, les romans qu'elle lisait avec passion au temps de son enfance et de son adolescence. Ainsi elle avait beaucoup aimé, pour leurs atmosphères poétiques et oniriques, la Vouivre de Marcel Aimé que le Sarn de Marie Web. Mais celui qui avait sans nul doute marqué son adolescence était ce beau roman de Théophile Gauthier, au titre conquérant mais en même temps un peu ridicule «  Le Capitaine Fracasse ».

 Longtemps après, devenue adulte, comme elle s'était demandé pourquoi les personnages de ce roman avait exercé une telle fascination sur elle, elle avait eu envie de le relire. Elle avait retrouvé avec grand plaisir chacun de ses héros, dont bien sûr ce pauvre baron de Sigognac que l'on découvrait au début du roman, dans son château en ruine. Il avait suivi, de son pays de naissance, la Gascogne, une troupe de comédiens jusqu'à Paris. Pour les nécessités de l'intrigue, c'était lui qui était monté sur les planches, après la mort de celui qui jouait le rôle du Matamore, pour le remplacer sous le rôle du Capitaine Fracasse.

Bien sûr, comme l'exigeait la trame du roman, il était tombé amoureux de l'ingénue, Isabelle, qui était à la fois, comme il se doit, belle et vertueuse. Telle que se présentait l'intrigue, leur amour était de l'ordre de l'impossible puisqu'une comédienne ne pouvait épouser un noble, les bergères n'épousant jamais les princes, mais l'auteur du roman avait veillé au destin des deux amoureux. Grâce à une précieuse améthyste qu'elle portait à son doigt, le duc de Valombreuse, put reconnaître en elle, la fille qu'il avait eu avec une comédienne. Tout s'arrangeait donc, elle était donc elle aussi de noble naissance. Ils purent se marier et eurent beaucoup d'enfants.

Mais cette Isabelle était en tant que femme assez peu intéressante, plutôt terne, c'était un autre personnage qui avait beaucoup plus attiré l'attention d'Hélène, celle à qui elle s'était identifiée, c'était Conchita, une fillette, à la lisière de l'enfance et de l'adolescence, maigre et sale, habillée de haillons et qui vivait en compagnie d'un voleur de grands chemins. Un jour qu'ils avaient attaqué la troupe des comédiens, au coin d'un bois, pour les détrousser, Isabelle lui avait offert son faux collier de perles. Eblouie par ce cadeau grandiose, Conchita en avait conçu une grande reconnaissance envers elle et lui était restée très attachée. Dès qu'Isabelle était en grand danger, et cela lui arrivait souvent, Conchita intervenait toujours à point nommé pour lui porter secours.

 Devenue adulte, Hélène s'était certes posée la question de savoir pourquoi elle n'avait pas choisi au moins Isabelle comme modèle, même si un autre personnage de femme, prétentieuse et orgueilleuse, Diane de Foix, n'avait pas suscité sa sympathie. Quel avait été pour elle, adolescente, l'attrait de cette pauvre Conchita, était-ce son apparente liberté, en tant qu'elle échappait ainsi à toutes les contraintes morales de la société ? Cela n'était pas impossible mais n'était peut-être pas une cause suffisante.

D'autres motivations inconscientes avait été pour elle mises en jeu. Comme elle l'avait appris de ce grand inventeur de la psychanalyse que fut Sigmund Freud, les poètes et les romanciers sont ceux qui savent transcrire dans leurs œuvres les rêves d'amour et de gloire de tous les êtres humains, ceux des hommes comme ceux des femmes. Mais ces rêves sont cependant gardés secrets y compris le plus souvent de nous-mêmes. Quand nous les découvrons dans les romans nous sommes émus et satisfaits que ces poètes aient pu les formuler, les exprimer à notre place.

C'est ce qui était arrivé à Hélène avec cette histoire de la petite Conchita. Le père d'Hélène n'était pas originaire de la Gascogne mais de la Catalogne. Il portait un beau nom, nom qu'il avait donné à sa fille. Quand on le prononçait en français il était tout fait ordinaire et raisonnable, mais en catalan, il prenait du lustre et aussi une double signification. Il pouvait s'appeler soit André du « Champ de l'aire », ce qui donnait d'emblée, à ce nom une dimension agreste, voire agricole. Mais il pouvait aussi devenir André « chef des voleurs », « chef des larrons », « cap dei laïre » ce qui faisait donc de ce père, un bandit de grand chemin. C'est ainsi qu'Hélène était comme la petite Conchita, la fille du chef des voleurs, elle vivait elle aussi, sans foi ni loi, au milieu de ces bandits tandis qu'ils attaquaient les diligences.

Heureusement Hélène n'avait pas entièrement calqué son destin sur celui de cette héroïne souffreteuse et plutôt victime, entre temps elle avait été sensible à d'autres influences. Malgré le nom qu'elle portait, elle n'avait jamais rien volé de sa vie, en tant que fille d'un bandit de grand chemin, sauf peut-être quelques cierges ou vieux chapelets dans des églises, mais c'était plutôt par provocation et pour rendre à César, tous ces César que rêvent d'être les hommes, ce qui avait été injustement donné à Dieu.

 

 

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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