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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
13 janvier 2017

Ma pomme... par Zabeth STEPAN

pommeJe l’ai remarquée, bien rangée parmi ses congénères, elles se ressemblent, c’est sûr, mais c’est   celle-ci qui me plaît, alors, j’en ai choisi quelques unes pour qu’elle ne se sente pas trop seule.

Je les ai ramenées, installées dans mon panier que je balance négligemment en marchant d'un bon pas

Elles sont appétissantes, ces pommes, un peu rouges, un peu jaunes, je ne connaissais pas leur nom ; heureusement, la marchande l’avait noté sur un carton : « Pink Lady ». C’est un nom sympathique. Laquelle vais-je manger ? Bien évidemment celle qui m’avait séduite, elle est attirante avec sa peau brillante et sa petite queue que je ferai tourner et arracher en épelant l’alphabet. Je vais me régaler. Elle est là, posée sur la table de la cuisine et je me demande : « Vais-je la croquer ? Vais-je la peler et la couper avec mon Laguiole ? »

J’hésite… et soudain… une petite voix se fait entendre et m’interpelle ! Mais c’est la pomme qui me parle, tiens donc ! Allons, écoutons-la.

« Attends ! Attends ! Ne te presse pas. Tu n’es pas si impatiente de me manger. C’est bien sûr, tu as fait un choix excellent, je suis vraiment la plus belle. Cependant, laisse-moi te parler un peu. Il faut d’abord que tu me regardes, prends-moi dans tes mains, fais-moi tourner de tous les côtés. Tu sens comme je suis lisse et douce. Et mes couleurs ? Tu vois, elles sont belles, je ne suis pas quelconque comme la reinette toute grise, la Granny Smith, toute verte et la golden avec son jaune si pâle, ne m’en parle pas.

Et puis, est-ce que tu as pensé à ma vie avant que j’atterrisse sur cette table ? Il faut que tu remercies l’arboriculteur qui s’est occupé avec soin de mon arbre porteur. Remercie celui qui m’a cueillie lorsque je suis arrivée à maturité et celui ou celle qui m’a emballée. Remercie encore le transporteur qui m’a amenée à Rungis et enfin la marchande qui m’a élue et installée sur son éventaire ; cependant, reconnais que c’est une grande aventure. J’ai entendu parler d’autres fruits  qui ne voyagent pas autant… En automne, les amateurs peuvent aller les cueillir et en faire des provisions dans des vergers où elles abondent.

Et encore, moi, je n’ai eu qu’une petite vie, je dirais même un peu insignifiante et sans célébrité. Dans mon ascendance, certaines ont acquis une notoriété évidente. Dois-je te rafraîchir la mémoire ?

La première d’abord, elle n’a pas eu un joli rôle, c’est elle qui a été proposée par Eve et croquée par Adam dans le jardin d’Eden. Tu te souviens des conséquences, on a bien dû te les raconter.

Et celles qu’on a nommées les Pommes d’Or du Jardin des Hespérides ? Même si de mauvaises langues colportent que ce ne serait pas des pommes…

Tiens celle-ci encore, celle que la méchante reine a offerte à Blanche-Neige et qui l’a endormie pour longtemps au grand désespoir des sept nains. Heureusement que le Prince Charmant est venu la réveiller. J’aurais aimé moi aussi qu’on me rappelle à la vie avec un baiser, enfin, n’ayons pas d’illusions, je m’attends plutôt à être mordue …

Une autre anecdote  maintenant que j’y pense. Guillaume Tell, tu le connais lui, quel exploit réussi ! Transpercer avec son arbalète la pomme posée sur la tête de son fils, d’accord, la pomme a dû souffrir, si elle avait pu nous le raconter, la pauvre… mais d’elle, on en parle encore.

Devenons un peu scientifique à présent. Faut-il que je te rappelle Newton ? C’est bien grâce à une pomme tombée de l’arbre sous lequel il se reposait qu’il a compris la gravitation universelle. Ce n’est pas rien tout de même, le rôle de la pomme ! Il y a de quoi devenir prétentieux.

Attends,  je ne vais pas parler que d’aventures, nous sommes également des artistes. Peux-tu réaliser en y réfléchissant, le nombre de pommes qui ont servi de modèles à des peintres célèbres : Courbet, Vallotton, Picasso aussi et surtout Cézanne. J’en conviens, lorsqu’elles sont représentées sur leurs tableaux, on les appelle des « natures mortes ». Pas trop sympathique comme titre, mais au moins, elles sont passées à la postérité. Je mettrai à part Arcimboldo, ce peintre Italien qui nous a combinées harmonieusement à d’autres fruits et des fleurs. Je n’oublie pas dans mon inventaire le tableau de Magritte : « La chambre d’écoute » avec sa grosse pomme verte qui occupe tout l’espace. Bizarre, non ?

A présent, je franchis l’Atlantique, et là, New York, tu as vu comment ils l’appellent : « The Big Apple » pas besoin de traduire, je crois. Ces Américains, ils ont même donné notre nom et notre physionomie à une marque d’ordinateurs haut de gamme. Quelle célébrité !

Je vais m’arrêter là, j’ai la mémoire qui flanche… ou bien, je ne pourrais pas tout te raconter, sinon,  ma pauvre, quand mangerais-tu ?

Et puis que te dire encore ? Je peux me féliciter de nos prestations en cuisine grâce à de valeureux cordons bleus. Pense aux pommes au four, aux tartes tatin ou pas, à la compote si douce. Je n’oublie pas la nouvelle cuisine qui nous marie souvent avec bonheur à d’autres produits en des combinaisons originales. Une mention spéciale aux pommes d’amour si craquantes que l’on achète dans les fêtes foraines où elles font la pige à la barbe à papa si peu consistante.

Maintenant que tu m’as sagement écoutée, je t’autorise à me croquer, mais prends encore ton temps, savoure mes saveurs acidulées, ma chair craquante et fraîche. Profite de ce moment de dégustation. Quand tu m’auras avalée, en pensée, suis mon trajet le long de ton œsophage, jusque dans ton estomac, la suite, tu la connais... Quand tu auras fini, quand il ne restera plus que mon trognon, ce serait bien si tu me mettais dans ton compost, ainsi je servirai encore un peu. Ciel ! J’ai oublié de te dire quelque chose : je suis bio, alors, tu peux même manger ma peau. C’est une aubaine, non ? 

Pour finir, il me reste à te donner une information importante. Je suis une source de bienfaits pour ceux qui me consomment, nombreux sont ceux qui y souscrivent et cela dans tous les pays du monde. On en produit partout, en quantité et pas seulement en Normandie…

Note que j’ai aussi côtoyé dans mon voyage des variétés « anciennes » qui avaient été oubliées et retrouvées. C’est intéressant, non ?

Mais quelle bavarde je fais ! Merci de ta patience, je m’arrête. Alors, à toi et bon appétit ! »

Ce long discours m’a tenue en haleine et c’est avec un plaisir sans partage que j’ai croqué dans ce beau fruit luisant.

Est-ce que j’ai entendu un petit « aïe ! »  Je ne crois pas,  ma pomme était sûrement ravie de se retrouver dans mon corps.  Depuis, je n’ai plus jamais mangé une pomme sans faire preuve à son égard de beaucoup de considération. Je me pose néanmoins une question existentielle :

« Est-ce que les Pom-Pom Girls ont un rapport avec les fruits du pommier ? »

Qui sait, une pomme me donnera peut-être la réponse…

une autre me chantera  sûrement avec Maurice Chevalier : « Ma pomme, c’est moi…»  

ou encore  « Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! »  avec Beethoven !

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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