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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
4 mars 2016

Le prisonnier de guerre

 

plaine-dunoise

Herbert terminait la partie de cartes animée qu'il partageait avec Lilou et Noémie, lorsque leur arrière-grand-mère décida qu'il était grand temps pour elles d'aller se coucher. Elles acceptèrent mais à condition qu'elle leur raconte une fois de plus comment elle avait rencontré leur arrière grand -père. Elles s'installèrent toutes les deux confortablement sous leur couette et Juliette commença une fois de plus son récit :

Herbert, votre arrière grand-père, avait à peine quinze ans lorsqu'il fut enrôlé dans l'armée allemande et envoyé immédiatement sur le front de Normandie. Il n'eut pas à se battre longtemps sous une pluie de bombes car il fût très vite fait prisonnier. Il séjourna quelques temps dans un camp de prisonniers qui avait été organisé à la hâte dans la région de Blois. Il y souffrit cruellement de la faim et du froid mais en cela il avait partagé le sort de presque tous les français, en ces années de guerre.

Son sort s'améliora considérablement lorsqu'il fut envoyé comme travailleur agricole dans une belle grande ferme de la prospère région de la Beauce, dans un beau petit village qui a pour nom Saint Soupplets.

C'est là que nous nous sommes rencontrés. J'avais quinze ans, moi aussi, et j'étais la fille de la maison. J'allais au lycée et j'étais pensionnaire, mais je rentrais tous les dimanches chez mes parents. Herbert, ainsi que tous les ouvriers de la ferme mangeait avec nous à table. J'étais sensible au charme de ce grand garçon blond qui me semblait terriblement fragile, comme perdu par rapport à la terrible situation qu'il avait eu à affronter. J'éprouvais de la sympathie pour lui mais ne pouvais la lui manifester, nous aurions dû en effet passer outre à l'hostilité que tout l'entourage éprouvait à son égard, il était notre ennemi. Mais il y avait également la barrière de la langue, je ne parlais pas l'allemand et lui ne parlait pas français. Nous ne pouvions nous aimer que du regard et n'échanger que quelques fugitives caresses au moment où il me passait la corbeille à pain ou que je lui donnais le sel.

Cet amour, de toute façon, se révélait être interdit, car dans ces années 1946, j'avais encore très vifs en mémoire les événements très perturbants pour nous que nous avions vécus, dans notre village, au moment de la libération de la France par les américains. Toutes les jeunes filles et les femmes qui s'étaient laissées aller à fréquenter les soldats allemands, voire les avaient aimés d'un amour sincère, avaient subies la vindicte populaire, au cours d'une parodie de jugement, et, en guise de punition, elles avaient été complètement rasées. Certaines, sous les huées de la foule, complètement tondues, défilaient avec leur enfant dans les bras, celui qui était, ainsi à jamais dénoncé comme étant l'enfant du péché, l'enfant du boche. J'aurais eu terriblement peur d'avoir à subir un tel châtiment, même si j'éprouvais beaucoup de sympathie pour celui qui était encore presque un enfant et que j'aurais aimé pouvoir aider. Il resta deux ans à travailler dans la ferme mais il fut enfin libéré et put rentrer chez lui en Allemagne. Je pensais ne jamais le revoir.

 

Quelques années après, je reçus pourtant une lettre de lui. Il avait, entre temps, repris ses études et appris le français. Il souhaitait me revoir. Ce furent de belles retrouvailles. Nous avions vingt ans tous les deux. Il était devenu un homme et moi une belle jeune fille. Entre temps, les allemands et les français avaient essayé de se réconcilier. Quand à nous, comme vous pouvez le constater, nous avons depuis vécus très heureux ensemble et longtemps. De plus nous avons participé modestement, avec toute notre grande famille franco-allemande, à la création et surtout à la construction de l'Europe.

 

 

 

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  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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