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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
3 décembre 2015

Dépôt de plainte

Marie-Claude Miollan -

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19 h, il ne va pas tarder à rentrer. Elle écoute le bruit de l’ascenseur qui monte et ne s’arrête pas à leur étage. Elle est là aux aguets. Que dira-t-il ? Mais surtout que fera-t-il quand il saura ? Elle appréhende sa réaction. Malgré son inquiétude, n’imaginant pas clairement ce que son acte peut avoir comme conséquence, elle repense à l’homme qui, quarante ans plus tôt, était venu la chercher a Pondichéry, dans sa famille, et l’avait amenée très peu de temps après leur mariage, très loin de l’Inde dans ce pays dont elle ne parlait pas la langue et ne connaissait pas les usages. Elle n’avait pas su s’adapter à ce pays, elle n’en maitrisait toujours pas la langue. Pourtant elle réalisait soudain qu’elle avait su aller au commissariat, expliquer ce qui lui arrivait si souvent, et qu’elle ne voulait plus que cela recommence. Que l’homme qui l’avait reçu l’avait écouté attentivement, l’avait aussi aidée par ses questions à expliquer comment cela se passait à la maison, les cris de son mari, les gifles qu’il donnait souvent pour rien, par exemple lorsque la vaisselle n’était pas rangée comme il le souhaitait dans le lave vaisselle. Et aussi le mépris qu’il lui manifestait fréquemment. Elle se demandait maintenant comment elle avait eu le courage d’aller parler de ce qui se passait dans l’intimité de leur foyer .On ne fait pas cela surtout en Inde. Mais tout d’un coup, elle se sentit presque fière de son acte, elle avait retrouvé une dignité et tant pis pour les conséquences dont elle pressentait bien qu’elles seraient sans doute graves. Elle se souvenait qu’elle y avait déjà songé, un jour ou la gifle et le mépris avaient été plus violents. Un après midi ou comme très souvent elle était seule, elle avait vu a la télé une émission sur les violences faites aux femmes et comment avec de l’aide certaines arrivaient à s’en sortir. On donnait un numéro de téléphone à appeler mais aussi comment faire pour déposer plainte dans un commissariat. Elle n’avait pas tout compris, mais il lui semblait avoir saisi l’essentiel. Et puis elle avait attendu, espérant que les conflits s’apaisent. Elle avait tenté de parler avec lui mais rien ne changeait. Elle sentait bien qu’elle se fermait de plus en plus. Elle ne le supportait plus, il lui arrivait même maintenant de faire le contraire de ce qu’il voulait ou demandait. Elle ne disait rien mais ses mots à lui étaient durs, blessants et puis il y avait ses gifles et ses coups. Elle n’avait personne à qui se confier, sa famille était loin, et puis on ne raconte pas ce genre de choses au téléphone, et de toute façon il était là présent lorsqu’elle parlait avec les siens. Il n arrivait toujours pas. Elle s’inquiétait. Elle n’avait pas bien compris ce que le policier lui avait expliqué après qu’elle ait fait sa déposition. On le convoquerait au commissariat par courrier ou par téléphone, elle avait donné son numéro de portable. Peut être alors était il déjà au commissariat pour répondre à la convocation. Et après ? Elle ne savait plus que penser. Le policier avait parlé de « garde a vue », on allait le garder au commissariat et puis après il ne pourrait plus rentrer à la maison, peut être même qu’il irait en prison. Mais ce n’était pas cela qu’elle voulait. Elle souhaitait juste qu’on lui fasse la leçon comme il la lui faisait à elle pour tout et pour rien, comme si elle était bête et ne comprenait rien, comme si elle était une enfant.

20h, il n’est toujours pas là. La peur la saisit. Mais que vais-je faire toute seule sans lui dans cette maison ? C’est lui qui sait, qui a toujours tout géré, qui fait les courses et gagne l’argent. Que vais-je devenir ? Se dit-elle dans un sanglot. Mais très vite elle se ressaisit en repensant à cet instant où, tout à l’heure, elle s’était sentie fière de ce qu’elle avait fait. Rien ne serait facile, elle le savait mais elle voulait se séparer de cet homme. Elle commença alors à réfléchir aux démarches qu’il lui faudrait entreprendre pour y arriver.





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Commentaires
B
Votre texte m'a saisi, tellement vrai, j’espère qu'"elle" a pu trouver quelqu'un à qui parler sa solitude, sa plainte. Merci.
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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
  • L 'écoute-s'il-pleut est un moulin au bord d'une petite rivière qui fonctionne lorsqu'il pleut. Dans cet atelier,animé par Christelle Prévôt, nous attendons avec plaisir qu'il pleuve des mots en abondance, puisque ce sont eux qui alimentent nos textes.
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