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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut
14 janvier 2016

Trois boutures de jasmin

Liliane Fainsilber - 

 

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Souleyman était marocain. Il venait de la région de Ouarzazate. Ses parents y cultivaient un petit lopin de terre et possédaient quelques palmiers. Adolescent il rêvait d'une vie meilleure et envisageait de venir en France pour y travailler. Un jour, il prépara un très léger bagage et se mit en route vers le Nord. Sa jeune sœur, Leila, glissa dans son sac trois boutures du jasmin odorant qui poussait au pied de leur maison de briques en terre. Elles les avait bien empaquetées dans de la paille et dans un chiffon, mais elle recommanda à Souleyman de bien penser à les arroser tous les jours, malgré les régions désertiques qu'il devrait traverser. Il commença son long périple par un voyage en car qui l'emmena jusqu'au Nord du Maroc, au bord de la mer. De là il trouva une embarcation qui le transporta sur les côtes d'Espagne. Pendant tout ce temps, il avait réussi à arroser régulièrement ses trois boutures de jasmin, en s'arrêtant près des fontaines dans les petits villages traversés. Souleyman commença à voir apparaître au bas de leurs tiges quelques petites radicelles blanches.

 

En Andalousie, pour gagner sa vie, il ramassa des fraises puis des tomates. Il avait maintenant mis ces trois boutures de jasmin ensemble dans un pot de terre et un jour il vit qu'elles allaient fleurir. Pour qu'elles puissent pleinement se développer, il décida de les mettre en pleine terre au pied de la pauvre masure où il logeait avec tous les ouvriers agricoles qui travaillaient dans cette exploitation. Ce jasmin ne demandait qu'à prospérer. Il avait une grande soif de vivre.

Comme il n'était pas beaucoup payé, Souleyman resta plusieurs saisons en Espagne. Ainsi ces trois petites boutures devinrent si envahissantes qu'elles couvrirent toute une tonnelle. A son ombre, ces rudes travailleurs, fatigués, épuisés, pouvaient se reposer en pensant avec nostalgie à leur pays.

 

Souleyman se remit un jour en route, et cette fois-ci, c'est lui qui coupa à nouveau et prépara trois nouvelles petites boutures de son jasmin qui de marocain était devenu espagnol. Il traversa la frontière et arriva dans le Roussillon. Les paysages étaient splendides. Il se fit embaucher dans les vignes au moment des vendanges. Le climat était doux et ensoleillé.

C'est là qu'il resta, car il s'y trouvait heureux. Le village avait pour nom Alignan du vent. Il y rencontra une charmante jeune fille. Elle était aussi brune et aussi jolie que sa petite sœur Leila. Elle ne parlait pas arabe mais avait l'accent chantant du midi. Elle s'appelait Mireille. C'est elle qui prit soin de ses trois boutures car elle avait la main verte. Un magnifique buisson de jasmin blanc embaumait l'air lorsque la fenêtre de leur chambre était restée ouverte, les nuits d'été.

Bientôt un nouveau petit Souleyman dans son berceau découvrirait la puissance de son parfum. Il s'en souviendrait toute sa vie. Il saurait qu'il venait du lointain pays de ses ancêtres aux confins du désert. Son père serait là pour le lui raconter.

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10 janvier 2016

Une petite diablesse kleptomane

 

 Liliane Fainsilber - 

 

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Il avait fait vœu de chasteté. Il avait été ordonné prêtre dans les années 80 et c'est à presque cinquante ans qu'il tomba amoureux fou de l'une de ses paroissiennes. Elle s'appelait Véronique. C'était une belle jeune femme qui semblait avoir plus d'une corde à son arc. Il l'aimait de toute son âme, la désirait et se serait presque décidé à l'inviter quant un événement inattendu l'en empêcha.

 

Un jour où ils participaient tous les deux à une fête de bienfaisance organisée par la paroisse, il l'entendit raconter à un petit groupe de ses amies comment elle avait volé dans une boutique de luxe ce magnifique pull de cachemire qu'elle portait ce jour là et qui mettait si biens ses formes en valeur. Elle leur avait même indiqué la façon de procéder. Il fallait tout d'abord choisir le lieu où exercer son forfait, choisir de préférence une boutique de luxe, puisque, quant à prendre des risques, autant bien choisir la qualité des produits, une fois entrée dans la boutique, il était souhaitable d'hésiter entre plusieurs modèles mais le point le plus important techniquement était de ne pas quitter des yeux la vendeuse tout en lui parlant sans arrêt, il fallait la tenir sous le charme. Pendant ce temps, elle se saisissait de l'objet convoité et le glissait dans son sac resté ouvert. Elle repartait vite, sans avoir rien acheté, en promettant de revenir.

Notre pauvre prêtre avait alors réalisé qu'il avait était tenté par le Diable, sous la forme de cette petite diablesse kleptomane. Il regretta cependant longtemps de ne pas avoir cédé à la tentation, peut-être justement à cause de ce pull en cachemire qui lui allait si bien !

 

 

9 janvier 2016

Tout feu, tout flamme

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Il l'aimait, la désirait et voulait l'inviter mais il n'osait pas, elle lui paraissait inaccessible. Au bureau, elle passait toujours en coup de vent. Il avait à peine le temps de l'apercevoir. Mais il entendait parler d'elle avec beaucoup d'admiration. Elle était l'une des adjointes du maire et témoignait de beaucoup de compétence dans toutes ses multiples activités. Elle semblait également très entourée, elle avait beaucoup d'amis, des hommes comme des femmes. Damien lui était un garçon timide et réservé. Il ne savait guère se mettre en valeur, ni se mettre en avant. Il avait fait de bonnes études de gestion et s'occupait des finances de la mairie. Mais à ses heures, il était aussi poète. Il faisait des vers et Valérie était la source de son inspiration, elle était sa muse.

Un jour dans la nouvelle mairie qui venait à peine d'être inaugurée un incendie se déclara. Peut-être était-il criminel. Il gagna vite les derniers étages et celui du bureau du maire et de ses adjoints.

 A cette heure de la journée, il y avait beaucoup de monde et un vent de panique se propagea avec autant de vitesse que l'incendie. A contre courant de tous ceux qui se dirigeait vers les sorties  Damien monta dans les étages en courant pour tenter de la retrouver et de lui porter secours, si nécessaire. Il se précipita donc dans son bureau, qui était déjà entouré de flammes. Elle avait perdu connaissance sous l'effet des gaz et de la fumée. Lui-même suffoquait.

Ils ne pouvaient plus s'enfuir par l'escalier, il était déjà trop tard. il s'approcha de la fenêtre et s'aperçut que les pompiers, arrivés sur les lieux, avaient déployé une très grande échelle. Il pris Valérie dans ses bras et enjambant la fenêtre, il descendit avec son précieux fardeau. Il l'accompagna jusqu'aux urgences dans l'ambulance. Elle ne semblait que légèrement brûlée. Il lui avait sauvé la vie, il lui avait donné une belle preuve de son amour mais il ne savait pas encore si elle en serait touchée.

Le lendemain il alla prendre de ses nouvelles à l'hôpital. Il avait acheté chez la fleuriste un modeste bouquet de jonquilles. Il pensait que ce serait peut-être le moment de lui déclarer sa flamme mais quand il pénétra dans sa chambre, un volumineux bouquet de lilas occupait tout l'espace disponible, et un de ses collègues tenait affectueusement la main de Valérie.

 

Déçu, il s'esquiva rapidement. Il pensait avoir perdu tout espoir de conquérir sa belle, mais ce qu'il ne savait pas encore c'est que toutes les histoires d'amour comportent beaucoup de péripéties. Quelques jours après, Valérie lui téléphonait pour l'inviter à partir avec une bande de copains faire un voyage en bateau le long des côtes turques.

Par cette invitation, elle lui faisait signe, un signe d'encouragement.

Au soleil et dans ces magnifiques paysages, il aurait tout le temps de tenter sa chance et faire en sorte qu'elle réponde à son amour.

4 janvier 2016

Une lettre de Madame Cézanne

 Liliane Fainsilber -

1872 Hortense Breast Feeding Paul oil on canvas Private Collection

Un maçon, entreprenant des travaux dans une vieille maison d'Aix en Provence, a récemment trouvé dans un secrétaire abandonné là, une lettre de Madame Cézanne à Monsieur Herbert Coleman, un critique d'art qui avait une certaine notoriété à la fin du dix-neuvième siècle. Elle permet d'interpréter sous un jour nouveau ce tableau assez peu connu de Paul Cézanne dont le nom est plutôt descriptif «Hortense allaitant Paul » daté de 1872.

« Cher Monsieur,

vous me demandez ce que je sais de ce tableau et dans quelles circonstances il a été peint par mon mari. Je sais bien que les gens de la bonne société aixoise auraient eu certes l'occasion sinon d'être choqués au moins de s'étonner devant ce portrait en constatant l'absence totale de réserve ou de pudeur de cette femme dénudée entrain de dormir d'un sommeil paisible, tenant son enfant dans ses bras et lui donnant le sein. C'est une scène d'une très grande intimité entre le peintre et son modèle. De fait, ce tableau n'est pas très connu car Cézanne le cachait soigneusement tout aussi soigneusement que l'existence de son fils prénommé Paul comme lui.

Cette femme endormie, c'est moi, Hortense Piquet, je ne suis devenue en effet que bien tardivement, Madame Cézanne, quatorze ans après la naissance de notre fils. Quand j'ai rencontré Cézanne, j'avais onze ans de moins que lui et je lui servais de modèle tout comme à d'autres peintres. Comme je pouvais rester immobile de très longues heures, il existe de moi de très nombreux portraits. Je ne sais pas s'il y a eu beaucoup d'amour entre nous, Cézanne n'avait peut-être qu'une seule passion au monde la peinture, et j'ai eu une bien rude concurrente, une redoutable rivale, son seul et grand modèle étant la Sainte Victoire. Vous remarquerez d'ailleurs que c'est à elle qu'il a réservé les plus beaux verts et les plus beaux bleus de sa palette.

 

Je suis cependant heureuse que ce tableau existe. Il aurait pu s'appeler « Maternité ». Pour notre fils Paul Cézanne, il est en quelque sorte un signe de reconnaissance. Ce tableau l'inscrit dans la lignée des Cézanne, de père en fils. Il me donne aussi une petite place dans cette lignée, je suis celle qui l'a mis au monde ! Je suis de fait la mère de Paul Cézanne. J'aime beaucoup le bandeau que j'ai dans les cheveux. Il me couronne en quelque sorte.

Voici modestement tout ce que je peux vous dire de ce tableau. Soyez assuré, cher monsieur, de toute ma sympathie. Hortense Cézanne.

 

 

 

 

 

 

3 janvier 2016

Le pommier doux

Liliane Fainsilber -

 

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Alors qu'il contemplait comme tous les matins, avec grand plaisir le paysage qu'il avait devant les yeux, il vit que la maison rose de l'autre côté de la rue était à nouveau habitée, toutes ses fenêtres étaient grande ouvertes, de la musique s'en échappait. Elle avait été longtemps abandonnée depuis la mort de Clémence, l'ancienne propriétaire, et Germain se demanda qui avait bien pu venir ainsi lui redonner vie.

 Quelques heures après dans la matinée, il vit passer le long du chemin une jeune femme, elle avait longé les bords de l'étang. Elle semblait légère et gaie dans ses pensées. Un moment elle avait disparu derrière un bosquet de bouleaux puis il l'avait vu réapparaître aux confins d'un champ de blé qui, en cette saison d'automne, était à nouveau d'un beau vert vif. Elle portait une robe de laine rouge qui se détachait dans le paysage, ce qui lui permettait de continuer à l'apercevoir. Où allait-elle ainsi et qui était-elle ?

 Soudain il repensa au temps lointain où jeune garçon, il avait attendu à la lisière de ces champs, une belle jeune fille qui était au collège avec lui. Elle s'appelait Aline. Il l'avait attendu au pied d'un vieux pommier. C'était là qu'ils s'étaient donné rendez-vous. Il ressentait devant sa présence une sorte d'émerveillement. Mais il était encore bien timide et inexpérimenté.Comme premier geste d'amour, il ne put que cueillir une pomme sur l'arbre et la lui offrir. Elle avait mordu à belles dents dans ce fruit. Mais ils n'allèrent pas plus loin.La vie les sépara bientôt. Elle quitta le village pour la ville. Pour quelle raison était-elle soudain revenue au pays de son enfance. Peut-être avait-elle hérité de la maison de son grand-père.

 Toute la matinée, tandis qu'il vaquait à ses occupations dans la ferme et qu'il nourrissait ses bêtes, Germain guetta son retour. Elle revint sur le coup de midi et portait un volumineux bouquet de fleurs des champs avec parmi elles, des marguerites. Il espérait beaucoup pouvoir à nouveau lui parler et surtout retrouver l'ancienne connivence.

Après tellement de temps, pourraient-ils enfin un jour croquer la pomme comme au temps de cette rencontre manquée de leur jeunesse. Il ne savait pas encore ce qu'elle en penserait mais il gardait espoir de pouvoir la séduire à nouveau.

D'un pas résolu, Germain alla taper à la porte de la maison rose. Aline vint lui ouvrir et sans une seconde d'hésitation, ils se reconnurent.

Une chanson de son enfance lui vint à l'esprit «  derrière chez mon père, il y a un pommier doux, vole mon cœur vole, il y a un pommier doux, trois filles de prince sont couchées dessous. » De ces trois filles, Germain avait incontestablement choisi la plus belle, c'était la princesse Aline.

 

 

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24 décembre 2015

Une lettre de Magritte à Lacan

Liliane Fainsilber -

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 En furetant dans une salle des ventes j'ai trouvé par hasard, parmi un paquet de vieux documents, une lettre de René Magritte, lettre supposée, d'après son contenu, avoir été adressée à Jacques Lacan sans qu'on puisse en être certain. Il faudrait bien sûr pouvoir l'authentifier.

« Cher ami,

comme vous devez vous en souvenir, nous nous sommes rencontrés au sein du groupe des surréalistes. C'est à ce titre, que je vous écris. J'ai toujours eu horreur de la psychanalyse et ce n'est donc surtout pas en tant que psychanalyste que je m'adresse à vous, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de mon tableau intitulé « La reproduction interdite » car il reste pour moi-même une véritable énigme.

Pourriez-vous au moins me suggérer quelques raisons qui restent inconnues de moi et qui m'ont poussé à faire ce portrait du poète anglais sous la forme de cet homme qui se regarde dans un miroir. Il ne se voit que de dos, ce qui donne, je trouve, à cette toile une impression de très inquiétante étrangeté. Le modèle est un poète anglais que vous connaissez peut-être. Il a pour nom Edward James, c'est l'un de nos plus fidèles mécènes, mais représenté ainsi de dos, nul ne peut le reconnaître. Peut-être même, en rajoutant mon chapeau sur sa tête, pourrait-on croire qu'il s'agit d'un auto-portrait.

 

Posé sur ce qui est une tablette de cheminée, j'ai peint un livre qui se reflète lui aussi dans le miroir mais dans sa forme normale, inversée. J'y ai inscrit son titre : « Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket ». Il s'agit comme vous le savez d'un livre d'Edgar Allan Poe, auteur que j'aime beaucoup. Je me suis posé certes la question de savoir pour quelle raison je l'avais choisi plutôt que de peindre un des livres de celui qui me servait de modèle, Edward James, cela aurait été plus logique.

Peut-être est-ce lié au fait qu'à la fin de ce roman il y a en effet la description d'un événement impossible à décrire, une apparition onirique neigeuse, une forme humaine de grande taille toute blanche vient se substituer à une impossible description de la découverte pourtant jusque là inédite de ce qu'il y avait réellement au pôle sud. Cette apparition vient certes rendre impossible cette découverte mais aussi en protège les trois héros qui sont en grand danger d'être engloutis avec leur fragile rafiot dans une sorte de gouffre qu'ils entrevoient au travers de ce voile. Je sais que Marie Bonaparte en a fait il y a quelques années une longue étude.

 Mais il m'est plutôt venu à l'idée, en y repensant, qu'une des anecdotes de ce livre pouvait être mise en relation avec cette reproduction interdite. Edgar Poe décrit en effet la terreur qui a saisi l'un des personnages de son roman, le chef d'une peuplade inconnue vivant près du pôle sud, lorsqu'il a découvert un double miroir dans la goélette qui venait d'aborder sur leur île. Ce qui avait provoqué sa terreur ce n'était pas de se voir de dos, mais de se voir deux fois de face, sur chacun des deux miroirs disposés l'un en face de l'autre.

Je sais en effet que vous avez eu un certain succès au cours d'un congrès de psychanalyse, en y développant ce que vous avez appelé le stade du miroir. C'est là, de ce que j'en ai compris, que l'enfant découvre en se regardant dans un miroir sa propre image et constitue son moi, ce d'autant plus qu'il le fait sous le regard admiratif de sa mère. Mais c'est aussi ce qui lui permet d'aimer les autres et de leur ressembler.

 Je me suis demandé si ce qui donnait à ce tableau cet aspect étrange ce n'était pas le fait qu'il rendait impossible à ce personnage de se regarder dans ce miroir tel Narcisse, les yeux dans les yeux, de s'y admirer ou de s'y détester mais au-delà d'y aimer ou d'y détester quelqu'un d'autre. il n'est pas en effet facile de s'identifier ou d'aimer quelqu'un qui vous tourne résolument le dos.

 La réponse de Lacan ne nous est pas parvenue, peut-être avait-il joué, dans sa lettre, sur l'équivoque du titre de ce tableau car les hommes aussi se reproduisent et, pour le maintien de la vie, il est en effet souhaitable que cette reproduction ne leur soit pas interdite. Comme le disait notre cher Rabelais, « La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute nature humaine ».

P.S. Cette lettre a été inventée par mes soins.

19 décembre 2015

Coup de foudre sous une tempête de neige

Liliane Fainsilber -

 

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A cause d'une soudaine tempête de neige, nous nous sommes trouvés pris au piège, avec quelques autres automobilistes, sur une petite route de montagne, sans aucune maison à des kilomètres à la ronde. La nuit commençait à tomber et il faisait déjà très froid. Chacun sortit de sa voiture et essaya de s'organiser au mieux pour la nuit. Par chance un grand tas de bois coupé par les cantonniers se trouvait à proximité. Nos deux adolescents, Romain et Julien, furent tout heureux de faire un grand feu pour pouvoir se réchauffer. Ceux qui en avaient sortirent de leurs bagages quelques provisions et on s'aperçut donc que, sans faire un grand festin, la nourriture mise en commun serait amplement suffisante. C'est ainsi qu'à plusieurs familles jusqu'à ce jour inconnues l'une de l'autre, nous avons eu une très belle veillée au clair de lune, car le ciel était maintenant dégagé et plein d'étoiles. Dans l'une des voitures, une charmante jeune fille voyageait avec ses parents, elle devait avoir quinze ou seize ans. Elle semblait très timide mais au cours de la soirée, elle s'enhardit même jusqu'à parler un peu avec mes deux fils. Ils échangèrent quelques opinions sur leurs préférences musicales, se découvrirent une passion commune pour Ibrahim Malouf et Grand-corps-malade et firent plus ample connaissance, en discutant de leurs études communes.

Au moment de se réfugier dans les voitures pour tenter d'y dormir, l'un d'entre nous découvrit dans l'obscurité à une vingtaine de mètres de la route, une grange sans doute abandonnée. Poussant la lourde porte de bois, il vit qu'elle était remplie de foin et ferait donc un confortable abri. C'est donc là que nous décidâmes de nous installer. C'est ainsi que certains évoquèrent de merveilleux souvenirs d'enfance et de jeunesse, parmi eux, des souvenirs de voyages en auto-stop et de nuits à la belle étoile, la bonne odeur du foin dans les granges et la chanson de Mireille, « couchés dans le foin avec le soleil pour témoin, un petit oiseau qui chante au loin... »

Au petit matin, nous avions tous plein de foin dans les cheveux et les vêtements froissés mais nous avions très bien dormi.

Les déblayeuses, qui étaient maintenant arrivées du village voisin, entrèrent en action et dégagèrent la route.

Or au moment de tous nous séparer un peu à regret, un homme de belle prestance, cheveux poivre et sel, qui s'était présenté sous le nom d'Antoine de Poggioli, s'avança vers Florence, une des jeunes femmes auprès de qui il avait passé la soirée, il l'entraîna un peu à l'écart du groupe et lui dit qu'il aimerait bien la revoir.

On sait que les obstacles mis au développement d'une passion ne servent qu'à lui donner plus de force, mais encore faut-il qu'ils puissent être franchis. Nous qui étions ainsi devenus les témoins de la naissance de cette idylle, nous nous demandions tous si ce coup de foudre sous une tempête de neige pourrait avoir une suite. En effet Antoine de Poggioli était conseiller en communication auprès de l’Élysée, tandis que Florence, bergère moderne, gardait ses moutons sur les hauts plateaux du Larzac et faisait du fromage avec le lait de ses brebis. Est-ce toujours vrai que les princes, même de pacotille, épousent toujours des bergères ? Cela dépend des circonstances mais aussi du désir de ces dernières, et Florence, la jolie bergère du Larzac n'avait pas encore dit son dernier mot. Dirait-elle oui ?

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Deux ans après, ceux qui passaient le samedi sur le marché de Lodève pouvait discuter de vive-voix avec l'ancien conseiller en communication de l’Élysée. Celui-ci avait en effet abandonné à jamais ses coûteux costumes trois pièces et vendait désormais ses fromages auprès de sa jeune et charmante épouse. Il savait maintenant ce qu'était la vraie vie et tout cela à cause d'une tempête de neige.

 

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Mais ce qu'on sait moins c'est que depuis que son conseiller en communication l'a abandonné pour devenir berger, le président de la république n'a pas en effet réussi à justifier la vertigineuse ascension de la courbe du chômage et il ne pourra donc pas se représenter comme il l'a promis. Tout çela est donc la faute de la jolie bergère du Larzac dont Antoine est tombé amoureux. Comme le rappelle le proverbe «  A petite cause, grands effets ».

 

 

 

18 décembre 2015

Clairvoyance

Liliane Fainsilber - 

 

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A la gare de Bruxelles, Aurélie sauta dans le train qui la ramenait vers Paris. Elle n'avait pas eu le temps d'acheter des journaux et se trouvait un peu désœuvrée. Elle jeta un coup d'oeil sur la tablette de son voisin. Il avait étalé quelques fiches et elle vit surtout sur l'écran de son ordinateur la reproduction d'un tableau de Magritte qu'elle ne connaissait pas. Le peintre avait disposé sur une table son modèle, un œuf, sur sa toile il avait figuré un oiseau aux larges ailes prenant son envol. Comme elle savait que les titres de ses tableaux avait toujours beaucoup d'importance même s'ils paraissaient souvent être sans lien avec eux, elle demanda à ce jeune homme son titre. C'était l'occasion de nouer connaissance et d'engager la conversation. Tandis qu'il lui répondait elle se tourna vers lui et découvrit un grand gaillard, à la barbe et la chevelure un peu hirsute. Il se présenta : «  Aurélien ! ». Malgré la chaleur du wagon, il avait gardé un gros pull de laine rêche sans doute tricoté à la main. Il lui faisait penser à un de ses soixante-huitards un peu passés de mode maintenant. Il était étudiant aux Beaux-arts et préparait un mémoire sur Magritte et le surréalisme, il se montra enchanté de pouvoir en discuter avec sa compagne de voyage. Oui, ce tableau s'appelait « Clairvoyance » et évoquait en effet toute l'essence du surréalisme dans cet énigmatique trio, l'oeuf, comme modèle, l'oiseau comme sa représentation, et le titre qui constituait l'interprétation du peintre. Il souhaitait en effet voir clair au-delà de la réalité de l'objet, en révélant son mystère sous la forme de cet oiseau qui s'envolait à tire d'aile échappant à jamais au regard. Comme elle se sentait en sympathie avec lui elle lui posa quelques autres questions sur son étude et lui confia à quel point un autre des tableaux de Magritte provoquait pour elle un sentiment d'inquiétante étrangeté à la limite de l'angoisse. Il s'agissait de celui qui s'appelle la reproduction interdite. Un homme vu de dos se regarde dans un miroir mais au lieu de se voir de face, comme on ne pourrait que si attendre, il se voit de dos.

not-to-be-reproducedC'est ce miroir maléfique qui lui renvoie cette image insolite. Mais ce spécialiste en herbe de Magritte ne put lui en dire plus si ce n'est qu'une reproduction interdite n'était pas la même chose qu'une reproduction impossible et se posait la question de savoir quel était l'agent interdicteur. Quelle instance avait empêché cet homme de se regarder en face et de se tourner ainsi le dos ? Au milieu de cette sérieuse discussion, il commencèrent à apercevoir les tristes pavillons de banlieue de la région parisienne, le voyage avait passé si vite ! Ils eurent la claire vision du fait qu'ils seraient bientôt séparés mais peut-être aussi la clairvoyance du destin qui les attendaient et vite ils échangèrent leurs numéros de téléphone pour être sûrs de pouvoir se revoir.

14 décembre 2015

Les cinq filles d'André Barbérini

Liliane Fainsilber -

 

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A Marseille, dans les années 40, le quartier de la Belle de mai n’était pas entièrement urbanisé. Il y avait au milieu des immeubles, des champs de trèfle, des jardins potagers et surtout d’anciennes demeures encore entourées d’une partie de leurs parcs. Parmi elles, une maison de maître de belle prestance avait été divisée en appartements. Devant une lourde porte de chêne deux beaux cèdres du Liban témoignaient encore de sa splendeur passée. Mais c’était tout ce qui restait du parc.

 

Au rez-de-chaussée, d’un côté habitait une femme à l’allure décidée, habillée de couleurs criardes, elle avait le verbe haut et nul ne pouvait ignorer la virulence de son accent marseillais. Son mari un peu freluquet ne semblait pas savoir faire grand-chose de ses dix doigts.

En face habitait celui qu’elle appelait « le cul de jatte ». Il avait en effet perdu une jambe, peut-être à la guerre. Personne ne savait grand-chose de lui car les habitants de cette maison ne se fréquentaient guère. Une certaine animosité régnait même entre eux. C’est ainsi que la première allait arroser tous les matins les jeunes pousses de haricots verts de son voisin à l’aide de quelques gouttes d’acide chlorhydrique pour être sûre qu’elles ne survivraient pas à son traitement.

Une famille dont les grands parents avaient échappé de justesse au génocide arménien habitait en toute discrétion au second étage de la maison. Le père était horloger et travaillait comme artisan dans une petite boutique du cours Belsunce. A ce même étage une autre famille de quatre personnes y séjournait, les parents et deux enfants arrivés à l’âge adulte. Ils étaient craints de tout le voisinage car ils faisaient partie de la milice. Ils étaient toujours coiffés de leurs sombres bérets noirs. Chacun avait peur d’être dénoncé par eux à la gestapo pour la moindre parole de critique ou de révolte vis-à-vis du maréchal et de l’occupant. Il n’était donc pas question d’écouter « Ici Londres », car les murs avaient des oreilles.

 

Tout à côté de cette grande maison, ce qui avait été peut-être une grange ou une écurie avait été aménagé. La famille Barbérini y était logée. Les parents à leur grand désespoir n’avaient pas eu de garçon pour transmettre le nom de la famille, disaient-ils, mais ils avaient par contre cinq filles. Ils vivaient dans la hantise de ce qui pourrait leur arriver. Les aînées en effet étaient adolescences et commençaient à s’intéresser de très près aux garçons. Ce sont elles qui ont donc commencé à tisser des liens entre chacune de ces cinq familles.

Camille avait choisit Albert Altoussian, le jeune fils de la famille arménienne. Léontine, le fils de la poissonnière, et Catherine le fils du cul-de-jatte, enfin il y en a même une, Sabine qui se dévoua pour séduire un des jeunes miliciens. Elle fit si bien qu’il entra en 1943, dans la résistance. Ainsi ces cinq familles, grâce à ces cinq Juliette qui trouvèrent chacune leur Roméo, rejouèrent le drame des Montague et des Capulet. Ils se réconcilièrent, mais au moins, pour cette fois, il n’y eut pas de morts bien au contraire beaucoup de petits Montague et de petits Capulet vinrent au monde, mais hélas, toujours pas de petits Barbérini !

9 décembre 2015

Fruits confits de Nice

 

 Liliane Fainsilber -

 

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Ses parents s'étaient connus très jeunes. Ils habitaient à Nice et travaillaient tous les deux à la poste. Son père y avait débuté à quatorze ans comme télégraphiste. Au moment où ils s'étaient rencontrés ils travaillaient tous les deux derrière le guichet. Il aidait la jeune fille a faire ses additions à la fin de la journée. Cela avait crée entre eux une connivence.

Ils eurent une première fille. Quand elle était née, son père avait vingt ans et sa mère dix neuf ans. Ils l'avaient appelée Clémentine. Ils n'étaient pas riches et du coup, Jérôme faisait double journée. La nuit il partait faire le tri des lettres et se retrouvait le matin à son poste.

 

Autour de la place Masséna, étaient bâtis de luxueux palaces blancs impressionnants par le luxe dont ils faisaient étalage. La plupart avaient vue sur la mer et étaient entourés de parcs. Palmiers et eucalyptus faisaient de cette ville une cité de rêve. Au moins s'offrait-elle à la vue de tous. Il en était de même de son marché aux fleurs. A l'époque, sur les collines alentour il y avait beaucoup de serres où étaient cultivés les oeillets. Ces oeillets, de par leur abondance même étaient vendus par botte de cinq douzaines. C'était un énorme bouquet que vous aviez dans les bras. Chacun pouvait en profiter. Comme le mimosa, leur parfum était délicieux et on ne peut que regretter leur progressive disparition.

 

Parmi tous les charmes de cette ville, ce qui était l'objet de toutes leurs convoitises, à ses sœurs et à elle, c'était les somptueuses vitrines des confiseries. Elles exposaient à profusion d'immenses corbeilles de fruits confits. Le glaçage du sucre dont tous ces fruits étaient enveloppés exaltait leurs couleurs les opposant violemment entre elles, du jaune vif des citrons au vert presque criard de l'angélique rehaussant le rouge plus atténué, plus délicat, des cerises.

Elle n'en avait pas encore conscience alors mais il existait une sorte de ligne de partage entre une Nice populaire, qui devait être à l'époque relativement pauvre et celle du monde des riches, ces touristes qui venaient profiter du soleil dès le début du printemps. Elle ne se souvenait pas en avoir approché de près. La barrière devait leur sembler infranchissable et ces étalages de fruits confits dans leur inaccessibilité en devenait en quelque sorte le symbole.

 

Quelques années après devenue adulte, elle avait retrouvé ces fruits confits dans la vitrine d'une boutique de Draguignan. Certes la vitrine n'avait rien de ce luxe niçois d'antan, mais un melon confit dans sa coque de sucre transparente se trouvait mis en valeur par la présence de quelques rutilantes mandarines et d'un beau cédrat jaune pâle. Elle ne put résister au plaisir de réaliser enfin le désir de son enfance, celui de pouvoir goûter à ces fruits confits qui étaient en quelque sorte devenus pour elle des fruits défendus peut-être en tant que symboles de réussite sociale.

 

Ce melon avait été enveloppé d'un papier transparent qui lui donnait une certaine solennité, la dignité d'un somptueux cadeau. Comme sa croûte glacée était, elle, translucide, on devinait au travers, l'orangé délicat de sa pulpe. Il était promesse d'une délicieuse expérience gustative.

Mais hélas, une fois ouvert et coupé en tranches, Clémentine s'aperçut alors que, malgré son nom si prometteur, fruit confit, il était certes très sucré mais avait perdu tous ses parfums de l'été, du temps où il avait été un melon tout simple, tout frais cueilli et minutieusement choisi, senti, soupesé et tâté, parmi le monceau de tous ses congénères, au marché provençal du village d'Aups, sur l'étalage d'un des marchands.

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