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Atelier d'écriture de l'écoute-s'il-pleut

14 janvier 2016

Trois boutures de jasmin

Liliane Fainsilber - 

 

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Souleyman était marocain. Il venait de la région de Ouarzazate. Ses parents y cultivaient un petit lopin de terre et possédaient quelques palmiers. Adolescent il rêvait d'une vie meilleure et envisageait de venir en France pour y travailler. Un jour, il prépara un très léger bagage et se mit en route vers le Nord. Sa jeune sœur, Leila, glissa dans son sac trois boutures du jasmin odorant qui poussait au pied de leur maison de briques en terre. Elles les avait bien empaquetées dans de la paille et dans un chiffon, mais elle recommanda à Souleyman de bien penser à les arroser tous les jours, malgré les régions désertiques qu'il devrait traverser. Il commença son long périple par un voyage en car qui l'emmena jusqu'au Nord du Maroc, au bord de la mer. De là il trouva une embarcation qui le transporta sur les côtes d'Espagne. Pendant tout ce temps, il avait réussi à arroser régulièrement ses trois boutures de jasmin, en s'arrêtant près des fontaines dans les petits villages traversés. Souleyman commença à voir apparaître au bas de leurs tiges quelques petites radicelles blanches.

 

En Andalousie, pour gagner sa vie, il ramassa des fraises puis des tomates. Il avait maintenant mis ces trois boutures de jasmin ensemble dans un pot de terre et un jour il vit qu'elles allaient fleurir. Pour qu'elles puissent pleinement se développer, il décida de les mettre en pleine terre au pied de la pauvre masure où il logeait avec tous les ouvriers agricoles qui travaillaient dans cette exploitation. Ce jasmin ne demandait qu'à prospérer. Il avait une grande soif de vivre.

Comme il n'était pas beaucoup payé, Souleyman resta plusieurs saisons en Espagne. Ainsi ces trois petites boutures devinrent si envahissantes qu'elles couvrirent toute une tonnelle. A son ombre, ces rudes travailleurs, fatigués, épuisés, pouvaient se reposer en pensant avec nostalgie à leur pays.

 

Souleyman se remit un jour en route, et cette fois-ci, c'est lui qui coupa à nouveau et prépara trois nouvelles petites boutures de son jasmin qui de marocain était devenu espagnol. Il traversa la frontière et arriva dans le Roussillon. Les paysages étaient splendides. Il se fit embaucher dans les vignes au moment des vendanges. Le climat était doux et ensoleillé.

C'est là qu'il resta, car il s'y trouvait heureux. Le village avait pour nom Alignan du vent. Il y rencontra une charmante jeune fille. Elle était aussi brune et aussi jolie que sa petite sœur Leila. Elle ne parlait pas arabe mais avait l'accent chantant du midi. Elle s'appelait Mireille. C'est elle qui prit soin de ses trois boutures car elle avait la main verte. Un magnifique buisson de jasmin blanc embaumait l'air lorsque la fenêtre de leur chambre était restée ouverte, les nuits d'été.

Bientôt un nouveau petit Souleyman dans son berceau découvrirait la puissance de son parfum. Il s'en souviendrait toute sa vie. Il saurait qu'il venait du lointain pays de ses ancêtres aux confins du désert. Son père serait là pour le lui raconter.

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12 janvier 2016

Tisane du soir

Jo Laudinet -

 

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Depuis quelques années nous faisons partie de la grande famille du cirque. Mon mari est dompteur de fauves, il excelle dans un numéro de dressage avec autorité et bienveillance envers les trois lions que nous avons élevés au biberon et apprivoisés avec beaucoup de patience. Il a réussi à gagner leur confiance à tel point qu’à certains moments de la représentation ils sont espiègles comme des gros chats, tout en gardant leur caractère de fauves. A la moindre défaillance du dompteur leur instinct peut revenir. Personnellement quand ils sont dans la cage j’ai toujours un moment d’inquiétude, mais chaque fois le spectacle se termine sous les applaudissements du public. Hier en rentrant dans la caravane j’ai trouvé une lettre adressée à mon mari, je l’ai ouverte et en la lisant ma colère a explosée. Je l’ai recollée pour ne pas éveiller ses soupçons. Mais ma colère de femme trompée s’est manifestée par un désir de vengeance meurtrière. J’ai compris que mon mari profité depuis quelques temps du jour de relâche pour rencontrer sa dulcinée. Je suis décidée à me battre, étant passionnée de botanique, je ramasse à l’occasion des plantes et des champignons que je fais sécher. Tous les soirs nous avons l’habitude après le repas de déguster un tilleul au miel de lavande, et c’est à la faveur de ce rituel que je vais ce soir lui concocter une mixture vengeresse avec des feuilles de valériane et de belladone agrémentées d’un soupçon de faux mousserons avec, comme à l’accoutumée, un geste tendre alors que, dans mon esprit, je veux me venger de cette trahison. Je sais que ce mélange va le rendre très malade et j’espère qu’après avoir lu la lettre il va réfléchir si toute fois la tisane qu’il vient de boire lui laisse le temps de penser aux conséquences de cette relation amoureuse. Heureusement que demain il n’y a pas de représentation, les lions sont très observateurs, quand le dompteur baisse la garde ils en profitent et peuvent devenir très agressifs et même très dangereux. J’espère que la prochaine représentation se déroulera sans grand incident et que nous oublierons dans quelques mois cette escapade.

10 janvier 2016

Une petite diablesse kleptomane

 

 Liliane Fainsilber - 

 

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Il avait fait vœu de chasteté. Il avait été ordonné prêtre dans les années 80 et c'est à presque cinquante ans qu'il tomba amoureux fou de l'une de ses paroissiennes. Elle s'appelait Véronique. C'était une belle jeune femme qui semblait avoir plus d'une corde à son arc. Il l'aimait de toute son âme, la désirait et se serait presque décidé à l'inviter quant un événement inattendu l'en empêcha.

 

Un jour où ils participaient tous les deux à une fête de bienfaisance organisée par la paroisse, il l'entendit raconter à un petit groupe de ses amies comment elle avait volé dans une boutique de luxe ce magnifique pull de cachemire qu'elle portait ce jour là et qui mettait si biens ses formes en valeur. Elle leur avait même indiqué la façon de procéder. Il fallait tout d'abord choisir le lieu où exercer son forfait, choisir de préférence une boutique de luxe, puisque, quant à prendre des risques, autant bien choisir la qualité des produits, une fois entrée dans la boutique, il était souhaitable d'hésiter entre plusieurs modèles mais le point le plus important techniquement était de ne pas quitter des yeux la vendeuse tout en lui parlant sans arrêt, il fallait la tenir sous le charme. Pendant ce temps, elle se saisissait de l'objet convoité et le glissait dans son sac resté ouvert. Elle repartait vite, sans avoir rien acheté, en promettant de revenir.

Notre pauvre prêtre avait alors réalisé qu'il avait était tenté par le Diable, sous la forme de cette petite diablesse kleptomane. Il regretta cependant longtemps de ne pas avoir cédé à la tentation, peut-être justement à cause de ce pull en cachemire qui lui allait si bien !

 

 

9 janvier 2016

Tout feu, tout flamme

59201134Liliane Fainsilber -

Il l'aimait, la désirait et voulait l'inviter mais il n'osait pas, elle lui paraissait inaccessible. Au bureau, elle passait toujours en coup de vent. Il avait à peine le temps de l'apercevoir. Mais il entendait parler d'elle avec beaucoup d'admiration. Elle était l'une des adjointes du maire et témoignait de beaucoup de compétence dans toutes ses multiples activités. Elle semblait également très entourée, elle avait beaucoup d'amis, des hommes comme des femmes. Damien lui était un garçon timide et réservé. Il ne savait guère se mettre en valeur, ni se mettre en avant. Il avait fait de bonnes études de gestion et s'occupait des finances de la mairie. Mais à ses heures, il était aussi poète. Il faisait des vers et Valérie était la source de son inspiration, elle était sa muse.

Un jour dans la nouvelle mairie qui venait à peine d'être inaugurée un incendie se déclara. Peut-être était-il criminel. Il gagna vite les derniers étages et celui du bureau du maire et de ses adjoints.

 A cette heure de la journée, il y avait beaucoup de monde et un vent de panique se propagea avec autant de vitesse que l'incendie. A contre courant de tous ceux qui se dirigeait vers les sorties  Damien monta dans les étages en courant pour tenter de la retrouver et de lui porter secours, si nécessaire. Il se précipita donc dans son bureau, qui était déjà entouré de flammes. Elle avait perdu connaissance sous l'effet des gaz et de la fumée. Lui-même suffoquait.

Ils ne pouvaient plus s'enfuir par l'escalier, il était déjà trop tard. il s'approcha de la fenêtre et s'aperçut que les pompiers, arrivés sur les lieux, avaient déployé une très grande échelle. Il pris Valérie dans ses bras et enjambant la fenêtre, il descendit avec son précieux fardeau. Il l'accompagna jusqu'aux urgences dans l'ambulance. Elle ne semblait que légèrement brûlée. Il lui avait sauvé la vie, il lui avait donné une belle preuve de son amour mais il ne savait pas encore si elle en serait touchée.

Le lendemain il alla prendre de ses nouvelles à l'hôpital. Il avait acheté chez la fleuriste un modeste bouquet de jonquilles. Il pensait que ce serait peut-être le moment de lui déclarer sa flamme mais quand il pénétra dans sa chambre, un volumineux bouquet de lilas occupait tout l'espace disponible, et un de ses collègues tenait affectueusement la main de Valérie.

 

Déçu, il s'esquiva rapidement. Il pensait avoir perdu tout espoir de conquérir sa belle, mais ce qu'il ne savait pas encore c'est que toutes les histoires d'amour comportent beaucoup de péripéties. Quelques jours après, Valérie lui téléphonait pour l'inviter à partir avec une bande de copains faire un voyage en bateau le long des côtes turques.

Par cette invitation, elle lui faisait signe, un signe d'encouragement.

Au soleil et dans ces magnifiques paysages, il aurait tout le temps de tenter sa chance et faire en sorte qu'elle réponde à son amour.

7 janvier 2016

La statue africaine

statue-cultuelle-luba-rdc-zaire-statue-africainesMarie-Claude Miollan -

Je mesure un mètre de haut. Je suis faite en bois massif de couleur sombre. Debout, bien stable sur mes deux jambes, je porte quelque chose qui ressemble à une petite jupe plissée ceinturée à la taille. Mais peut être est ce une jupe traditionnelle en fibres de coco. Mes seins nus pendent légèrement sur mon ventre pointu. Des bracelets ornent le haut de mes bras, tandis que je porte dans mes mains deux objets ou deux êtres que même aujourd’hui je ne saurais définir. De forme allongée, comme un corps avec une tête qui se dessine à son extrémité. J’ai un long cou surmonté d’une tête aux traits marqués par un nez et des sourcils saillants, une bouche aux lèvres charnues, un regard qui fixe un point juste devant moi. Je possède aussi deux oreilles très allongées et sur la tête des tresses qui se terminent par une courte queue. Sous mon menton j’ai un appendice qui ressemble à une langue qui d’ailleurs ne me plait pas. Alors, qui suis-je ?

 

Je suis une statue africaine, crée au Congo par un sculpteur africain bien sûr. Un colon français amateur d’art, passant dans un village non loin de Brazzaville s’arrêta dans son atelier, il m’aperçut et m’acheta. Je vécu chez lui un moment, puis il rentra en France et m’emmena. Je trouvais une place dans une maison où à coté des sculptures africaines on trouvait des meubles bretons et des peintures et sculptures réalisées par le colon lui-même. Mais tout à une fin, je fus finalement donnée en héritage à une fille de la maison qui prit soin de moi.

Elle me huila, me cira, m’épousseta et me trouva elle aussi une place tout à coté d’une défense d’éléphant venant elle de l’Oubangui Chari. J’y suis encore. Nous nous entendons fort bien toutes deux. Nous évoquons parfois nos souvenirs africains, mais le quotidien est quelques fois plein de surprises. En voici un exemple : La famille où je vis recevant ses petits enfants de trois et six ans, craignant sans doute qu’ils ne me bousculent en jouant me cachât dans un placard. Il y faisait un peu sombre certes mais j’étais tranquille. J’entendais leurs éclats de rire, leurs cris, leurs chamailleries dans le lointain. Un jour, alors qu’ils jouaient sans doute à cache-cache, l’enfant de trois ans, qui s’appelle, je le sais maintenant, Honoré, en cherchant sa sœur Ambre ouvrit la porte du placard et me vit.

Que crut-il voir, un monstre, un fantôme ? Quoi qu’il en soit il refermât vivement la porte et couru voir sa sœur.

Quelques instants après on vint me sortir de ma cachette. Je fus remise à ma place habituelle. On me regarda, on m’admira, on m’ausculta même et on raconta en détails mon histoire aux enfants.

Depuis, chaque fois qu’ils viennent en vacances ils ne manquent pas de venir me présenter leurs hommages en me caressant doucement la tète en faisant attention à ne pas me bousculer par crainte de me faire tomber. Mais se pose toujours la question de savoir ce que je porte au bout de mes bras. Je ne peux leur répondre, bien sûr, je l’ignore moi-même.

 

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4 janvier 2016

Une lettre de Madame Cézanne

 Liliane Fainsilber -

1872 Hortense Breast Feeding Paul oil on canvas Private Collection

Un maçon, entreprenant des travaux dans une vieille maison d'Aix en Provence, a récemment trouvé dans un secrétaire abandonné là, une lettre de Madame Cézanne à Monsieur Herbert Coleman, un critique d'art qui avait une certaine notoriété à la fin du dix-neuvième siècle. Elle permet d'interpréter sous un jour nouveau ce tableau assez peu connu de Paul Cézanne dont le nom est plutôt descriptif «Hortense allaitant Paul » daté de 1872.

« Cher Monsieur,

vous me demandez ce que je sais de ce tableau et dans quelles circonstances il a été peint par mon mari. Je sais bien que les gens de la bonne société aixoise auraient eu certes l'occasion sinon d'être choqués au moins de s'étonner devant ce portrait en constatant l'absence totale de réserve ou de pudeur de cette femme dénudée entrain de dormir d'un sommeil paisible, tenant son enfant dans ses bras et lui donnant le sein. C'est une scène d'une très grande intimité entre le peintre et son modèle. De fait, ce tableau n'est pas très connu car Cézanne le cachait soigneusement tout aussi soigneusement que l'existence de son fils prénommé Paul comme lui.

Cette femme endormie, c'est moi, Hortense Piquet, je ne suis devenue en effet que bien tardivement, Madame Cézanne, quatorze ans après la naissance de notre fils. Quand j'ai rencontré Cézanne, j'avais onze ans de moins que lui et je lui servais de modèle tout comme à d'autres peintres. Comme je pouvais rester immobile de très longues heures, il existe de moi de très nombreux portraits. Je ne sais pas s'il y a eu beaucoup d'amour entre nous, Cézanne n'avait peut-être qu'une seule passion au monde la peinture, et j'ai eu une bien rude concurrente, une redoutable rivale, son seul et grand modèle étant la Sainte Victoire. Vous remarquerez d'ailleurs que c'est à elle qu'il a réservé les plus beaux verts et les plus beaux bleus de sa palette.

 

Je suis cependant heureuse que ce tableau existe. Il aurait pu s'appeler « Maternité ». Pour notre fils Paul Cézanne, il est en quelque sorte un signe de reconnaissance. Ce tableau l'inscrit dans la lignée des Cézanne, de père en fils. Il me donne aussi une petite place dans cette lignée, je suis celle qui l'a mis au monde ! Je suis de fait la mère de Paul Cézanne. J'aime beaucoup le bandeau que j'ai dans les cheveux. Il me couronne en quelque sorte.

Voici modestement tout ce que je peux vous dire de ce tableau. Soyez assuré, cher monsieur, de toute ma sympathie. Hortense Cézanne.

 

 

 

 

 

 

3 janvier 2016

Le pommier doux

Liliane Fainsilber -

 

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Alors qu'il contemplait comme tous les matins, avec grand plaisir le paysage qu'il avait devant les yeux, il vit que la maison rose de l'autre côté de la rue était à nouveau habitée, toutes ses fenêtres étaient grande ouvertes, de la musique s'en échappait. Elle avait été longtemps abandonnée depuis la mort de Clémence, l'ancienne propriétaire, et Germain se demanda qui avait bien pu venir ainsi lui redonner vie.

 Quelques heures après dans la matinée, il vit passer le long du chemin une jeune femme, elle avait longé les bords de l'étang. Elle semblait légère et gaie dans ses pensées. Un moment elle avait disparu derrière un bosquet de bouleaux puis il l'avait vu réapparaître aux confins d'un champ de blé qui, en cette saison d'automne, était à nouveau d'un beau vert vif. Elle portait une robe de laine rouge qui se détachait dans le paysage, ce qui lui permettait de continuer à l'apercevoir. Où allait-elle ainsi et qui était-elle ?

 Soudain il repensa au temps lointain où jeune garçon, il avait attendu à la lisière de ces champs, une belle jeune fille qui était au collège avec lui. Elle s'appelait Aline. Il l'avait attendu au pied d'un vieux pommier. C'était là qu'ils s'étaient donné rendez-vous. Il ressentait devant sa présence une sorte d'émerveillement. Mais il était encore bien timide et inexpérimenté.Comme premier geste d'amour, il ne put que cueillir une pomme sur l'arbre et la lui offrir. Elle avait mordu à belles dents dans ce fruit. Mais ils n'allèrent pas plus loin.La vie les sépara bientôt. Elle quitta le village pour la ville. Pour quelle raison était-elle soudain revenue au pays de son enfance. Peut-être avait-elle hérité de la maison de son grand-père.

 Toute la matinée, tandis qu'il vaquait à ses occupations dans la ferme et qu'il nourrissait ses bêtes, Germain guetta son retour. Elle revint sur le coup de midi et portait un volumineux bouquet de fleurs des champs avec parmi elles, des marguerites. Il espérait beaucoup pouvoir à nouveau lui parler et surtout retrouver l'ancienne connivence.

Après tellement de temps, pourraient-ils enfin un jour croquer la pomme comme au temps de cette rencontre manquée de leur jeunesse. Il ne savait pas encore ce qu'elle en penserait mais il gardait espoir de pouvoir la séduire à nouveau.

D'un pas résolu, Germain alla taper à la porte de la maison rose. Aline vint lui ouvrir et sans une seconde d'hésitation, ils se reconnurent.

Une chanson de son enfance lui vint à l'esprit «  derrière chez mon père, il y a un pommier doux, vole mon cœur vole, il y a un pommier doux, trois filles de prince sont couchées dessous. » De ces trois filles, Germain avait incontestablement choisi la plus belle, c'était la princesse Aline.

 

 

2 janvier 2016

Festival d'Avignon

 

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Elle avait six ans, peut être sept, des cheveux blonds et longs, une robe bleue.

Place de La Mirande, derrière le Palais des Papes, à coté du Théâtre du Rouge Gorge elle était assise sur un bloc de calcaire blanc délimitant un emplacement en demi-cercle.

Tout autour, du monde, beaucoup de monde, debout.

Au centre de cette scène, un guitariste espagnol sur un tapis aux motifs rouges, assis sur sa sono, jouait des airs de sa composition que les murs très proches du Palais des Papes renvoyaient en écho.

Une petite place à coté d’elle étant libre, je m’y glissais. Elle me jeta un regard ni surpris ni intéressé, et se concentra à nouveau sur le musicien.

La voyant ainsi seule sur ce banc, j’imaginais ses parents debout, non loin d’elle, la surveillant.

De longues minutes s’écoulèrent, vingt minutes, une demi-heure peut être. Le guitariste joua, je me souviens, trois longs morceaux. Nous écoutions l’une à coté de l’autre ces airs étranges et envoutants. Immobile, concentrée sur la musique, elle semblait regarder les doigts du musicien jonglant sur sa guitare. Soudain derrière nous un brouhaha puis un cri affolé « Marie ». C’était sa mère. Elle se saisit d’elle vivement, la serra rapidement dans ses bras puis la tendit à son père.

« On l’avait oubliée »  me dit-elle aux bords des larmes. J’ai alors murmuré à la mère : «  Je la gardais. Elle ne s’est rendue compte de rien ».  Elle me remercia brièvement, et très vite ils s’éloignèrent, leur fille dans les bras. Mais au regard que celle-ci m’adressa en partant, je compris qu’elle eut aimée profiter plus longtemps de cette pause musicale.

 

28 décembre 2015

La petite fille en soie


Renée Gauvenet -

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                   Que peut bien regarder cette fillette avec son air un peu gauche, sans doute saisie par la prise de photo ?
Elle est toute potelée,  bien habillée, chaussures vernies,  chaussettes blanches, et petite robe tricotée, semble-t-il.
Oui, la robe est tricotée ou faite au crochet, dans un fin fil  de soie blanche, car sa maman qui l’a réalisée, prétend que seule la soie convient à la peau, que toutes les autres matières ne peuvent que l’irriter.
Ainsi tous les sous-vêtements, petites chemises ou culottes, seront ainsi coupés, cousus, brodés dans cette matière.
Elle grandit,  l’enfant aux vêtements de soie, apprend à lire, à écrire, à compter, à broder aussi.
Puis c’est l’école, elle continue à apprendre gaiement. Tout ce qui est papier lui plait, cahiers, livres, et crayons de toutes les couleurs.
Mais, il y a les autres qui se moquent, raillent la robe et les dessous de soie, font couler les larmes et s’en réjouissent..,
Pourtant elle tient bon, la petite. De classe en classe, elle monte, et devient de jour en jour plus instruite. C’est comme cela qu’elle se venge  des coups bas, des  humiliations .
On la complimente sur ses réussites et ce sont les autres qui pleurent.
Pourtant on ne dirait pas sur la photo de ses cinq ans une telle détermination, à quoi elle la doit.
 On ne saura jamais que c’est la force de sa maman partie, de son courage qu’elle a hérité.
 Les vêtements de soie s’usent pourtant, mais le souvenir de celle qui les a réalisés reste et un jour on abandonne cette matière pure et vivifiante.

24 décembre 2015

Une lettre de Magritte à Lacan

Liliane Fainsilber -

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 En furetant dans une salle des ventes j'ai trouvé par hasard, parmi un paquet de vieux documents, une lettre de René Magritte, lettre supposée, d'après son contenu, avoir été adressée à Jacques Lacan sans qu'on puisse en être certain. Il faudrait bien sûr pouvoir l'authentifier.

« Cher ami,

comme vous devez vous en souvenir, nous nous sommes rencontrés au sein du groupe des surréalistes. C'est à ce titre, que je vous écris. J'ai toujours eu horreur de la psychanalyse et ce n'est donc surtout pas en tant que psychanalyste que je m'adresse à vous, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de mon tableau intitulé « La reproduction interdite » car il reste pour moi-même une véritable énigme.

Pourriez-vous au moins me suggérer quelques raisons qui restent inconnues de moi et qui m'ont poussé à faire ce portrait du poète anglais sous la forme de cet homme qui se regarde dans un miroir. Il ne se voit que de dos, ce qui donne, je trouve, à cette toile une impression de très inquiétante étrangeté. Le modèle est un poète anglais que vous connaissez peut-être. Il a pour nom Edward James, c'est l'un de nos plus fidèles mécènes, mais représenté ainsi de dos, nul ne peut le reconnaître. Peut-être même, en rajoutant mon chapeau sur sa tête, pourrait-on croire qu'il s'agit d'un auto-portrait.

 

Posé sur ce qui est une tablette de cheminée, j'ai peint un livre qui se reflète lui aussi dans le miroir mais dans sa forme normale, inversée. J'y ai inscrit son titre : « Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket ». Il s'agit comme vous le savez d'un livre d'Edgar Allan Poe, auteur que j'aime beaucoup. Je me suis posé certes la question de savoir pour quelle raison je l'avais choisi plutôt que de peindre un des livres de celui qui me servait de modèle, Edward James, cela aurait été plus logique.

Peut-être est-ce lié au fait qu'à la fin de ce roman il y a en effet la description d'un événement impossible à décrire, une apparition onirique neigeuse, une forme humaine de grande taille toute blanche vient se substituer à une impossible description de la découverte pourtant jusque là inédite de ce qu'il y avait réellement au pôle sud. Cette apparition vient certes rendre impossible cette découverte mais aussi en protège les trois héros qui sont en grand danger d'être engloutis avec leur fragile rafiot dans une sorte de gouffre qu'ils entrevoient au travers de ce voile. Je sais que Marie Bonaparte en a fait il y a quelques années une longue étude.

 Mais il m'est plutôt venu à l'idée, en y repensant, qu'une des anecdotes de ce livre pouvait être mise en relation avec cette reproduction interdite. Edgar Poe décrit en effet la terreur qui a saisi l'un des personnages de son roman, le chef d'une peuplade inconnue vivant près du pôle sud, lorsqu'il a découvert un double miroir dans la goélette qui venait d'aborder sur leur île. Ce qui avait provoqué sa terreur ce n'était pas de se voir de dos, mais de se voir deux fois de face, sur chacun des deux miroirs disposés l'un en face de l'autre.

Je sais en effet que vous avez eu un certain succès au cours d'un congrès de psychanalyse, en y développant ce que vous avez appelé le stade du miroir. C'est là, de ce que j'en ai compris, que l'enfant découvre en se regardant dans un miroir sa propre image et constitue son moi, ce d'autant plus qu'il le fait sous le regard admiratif de sa mère. Mais c'est aussi ce qui lui permet d'aimer les autres et de leur ressembler.

 Je me suis demandé si ce qui donnait à ce tableau cet aspect étrange ce n'était pas le fait qu'il rendait impossible à ce personnage de se regarder dans ce miroir tel Narcisse, les yeux dans les yeux, de s'y admirer ou de s'y détester mais au-delà d'y aimer ou d'y détester quelqu'un d'autre. il n'est pas en effet facile de s'identifier ou d'aimer quelqu'un qui vous tourne résolument le dos.

 La réponse de Lacan ne nous est pas parvenue, peut-être avait-il joué, dans sa lettre, sur l'équivoque du titre de ce tableau car les hommes aussi se reproduisent et, pour le maintien de la vie, il est en effet souhaitable que cette reproduction ne leur soit pas interdite. Comme le disait notre cher Rabelais, « La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute nature humaine ».

P.S. Cette lettre a été inventée par mes soins.

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