Trois boutures de jasmin
Liliane Fainsilber -
Souleyman était marocain. Il venait de la région de Ouarzazate. Ses parents y cultivaient un petit lopin de terre et possédaient quelques palmiers. Adolescent il rêvait d'une vie meilleure et envisageait de venir en France pour y travailler. Un jour, il prépara un très léger bagage et se mit en route vers le Nord. Sa jeune sœur, Leila, glissa dans son sac trois boutures du jasmin odorant qui poussait au pied de leur maison de briques en terre. Elles les avait bien empaquetées dans de la paille et dans un chiffon, mais elle recommanda à Souleyman de bien penser à les arroser tous les jours, malgré les régions désertiques qu'il devrait traverser. Il commença son long périple par un voyage en car qui l'emmena jusqu'au Nord du Maroc, au bord de la mer. De là il trouva une embarcation qui le transporta sur les côtes d'Espagne. Pendant tout ce temps, il avait réussi à arroser régulièrement ses trois boutures de jasmin, en s'arrêtant près des fontaines dans les petits villages traversés. Souleyman commença à voir apparaître au bas de leurs tiges quelques petites radicelles blanches.
En Andalousie, pour gagner sa vie, il ramassa des fraises puis des tomates. Il avait maintenant mis ces trois boutures de jasmin ensemble dans un pot de terre et un jour il vit qu'elles allaient fleurir. Pour qu'elles puissent pleinement se développer, il décida de les mettre en pleine terre au pied de la pauvre masure où il logeait avec tous les ouvriers agricoles qui travaillaient dans cette exploitation. Ce jasmin ne demandait qu'à prospérer. Il avait une grande soif de vivre.
Comme il n'était pas beaucoup payé, Souleyman resta plusieurs saisons en Espagne. Ainsi ces trois petites boutures devinrent si envahissantes qu'elles couvrirent toute une tonnelle. A son ombre, ces rudes travailleurs, fatigués, épuisés, pouvaient se reposer en pensant avec nostalgie à leur pays.
Souleyman se remit un jour en route, et cette fois-ci, c'est lui qui coupa à nouveau et prépara trois nouvelles petites boutures de son jasmin qui de marocain était devenu espagnol. Il traversa la frontière et arriva dans le Roussillon. Les paysages étaient splendides. Il se fit embaucher dans les vignes au moment des vendanges. Le climat était doux et ensoleillé.
C'est là qu'il resta, car il s'y trouvait heureux. Le village avait pour nom Alignan du vent. Il y rencontra une charmante jeune fille. Elle était aussi brune et aussi jolie que sa petite sœur Leila. Elle ne parlait pas arabe mais avait l'accent chantant du midi. Elle s'appelait Mireille. C'est elle qui prit soin de ses trois boutures car elle avait la main verte. Un magnifique buisson de jasmin blanc embaumait l'air lorsque la fenêtre de leur chambre était restée ouverte, les nuits d'été.
Bientôt un nouveau petit Souleyman dans son berceau découvrirait la puissance de son parfum. Il s'en souviendrait toute sa vie. Il saurait qu'il venait du lointain pays de ses ancêtres aux confins du désert. Son père serait là pour le lui raconter.